
Le « système Blanquer », décidément, survit à l’éclipse de son concepteur. Sur certains points, ils pourrait même être dépassé sur sa droite. En témoigne l’ahurissante prise de position de Brigitte Macron, se posant en ministre bis de l’éducation, en faveur de l’uniforme scolaire, et les nouvelles propositions de loi déposées en ce sens. Sur ce sujet qui, comme d’autres, semble revenir en boucle dans une sorte de course à la régression, un extrait de mon livre.
Pratiquant avec brio l’usage de ces signaux sémaphoriques de droite (ou conservateurs), dont la liste n’est pas ici exhaustive, Jean-Michel Blanquer en fait néanmoins un usage subtil : tout en engrangeant le bénéfice politique qui leur est lié, il veille toujours à ne pas s’y laisser enfermer. La question de l’uniforme scolaire, une vraie marotte de la droite qui se découvre à cette seule occasion une passion pour l’égalitarisme, en est une bonne illustration. Déjà adressée par le passé à des ministres de droite, elle arrive généralement dans une émission politique et sous la forme viciée de l’éventuel « retour de l’uniforme ». D’une part, il n’y a pas de « retour » qui tienne, car il n’a jamais existé, en France métropolitaine*, d’uniforme scolaire, en tout cas dans les établissements publics et au sens d’une prescription nationale. Ce qui a existé, en revanche, mais de manière hétérogène, en fonction des usages locaux, c’est « l’école des blouses grises » (ou blanches, ou… roses pour les filles) dont témoignent de nombreuses photos de classe jusqu’à la fin des années 1960.
* L’uniforme scolaire est la règle dans les territoires d’Outre-Mer
Si l’on regarde bien ces images, et même en remontant beaucoup plus loin dans le passé jusqu’aux années 1910 ou 1920, on voit que rares sont celles où la totalité des enfants ont une blouse et où tous ceux qui en ont une ont le même modèle. Ce qui motivait le port de la blouse – en usage surtout à l’intérieur des écoles ou des établissements – était avant tout la protection des vêtements contre les taches d’encre. A partir du moment où les encriers ont disparu des pupitres, le port de la blouse a commencé son extinction. La soif de liberté des baby-boomers a fait le reste, au moins dans la plupart des pays occidentaux. Outre le Royaume-Uni et l’Irlande en Europe, beaucoup de pays développés (notamment l’Australie, la Corée du Sud, le Japon, Singapour…) mais aussi de nombreux pays dits « émergents » imposent l’uniforme scolaire.
Il n’existe aucune corrélation, et encore moins de relation de cause à effet, entre uniforme et performance scolaire. C’est plutôt, dans chaque pays, une affaire de tradition. Instaurer une telle obligation en France reviendrait à engager, en multipliant le coût moyen d’un uniforme par 12 millions d’élèves, un budget considérable de plusieurs centaines de millions d’euros par an dans l’estimation la plus basse. Qu’un tel budget soit à la charge de l’État, des collectivités locales ou des familles, ou réparti entre les trois, la question se poserait de savoir si, à montant égal, d’autres investissements ne seraient pas plus pertinents et plus urgents. Ce n’est pas l’avis d’une grande partie de la droite en France, où cette proposition revient de temps en temps. En septembre 2016, lors de l’université d’été du parti LR, à La Baule, François Fillon avait plaidé pour « une école du respect et de l’autorité, symbolisés par le port de l’uniforme ». Auparavant, après les attentats de janvier 2015, une proposition de loi en ce sens (et aussi pour « la présence des paroles de l’hymne national et du drapeau tricolore dans les classes », vœu exaucé depuis) avait été déposée à l’Assemblée nationale par Bernard Debré et 45 autres députés de droite dont Eric Ciotti, Nicolas Dupont-Aignan, Daniel Fasquelle, Annie Genevard et Thierry Mariani. Les motifs avancés sont que l’imposition d’une norme vestimentaire et la présence de ces symboles serait susceptible de contrer « les comportements communautaristes, les atteintes à l’autorité » et « les manifestations du rejet de la République ».
Lors du « Grand Jury » RTL-Le Figaro-LCI du 10 décembre 2017, Jean-Michel Blanquer, questionné sur un éventuel « retour » de l’uniforme à l’école, a d’abord répondu aux journalistes : « Je ne vais pas esquiver (…), mais vos questions cherchent à m’enfermer. » Il a ensuite rappelé, en citant l’internat d’excellence de Sourdun (Seine-et-Marne), qu’en tant que recteur il avait « parfois eu l’occasion de prôner le déploiement de l’uniforme dans un établissement », mais que l’on doit « tout simplement permettre aux établissements qui le veulent de le développer ». Ecartant l’idée de le « généraliser », il a souligné qu’il ne fallait « certainement pas obliger tout le monde à porter un uniforme », en distinguant des sujets « de nature nationale » et d’autres, comme celui-ci, qui relèvent « au contraire, de la liberté des acteurs » Une réponse balancée, donc, avec même une légère marque d’agacement envers la formulation de la question. Le 3 mars 2018, interrogé sur le même sujet dans l’émission BFM Politique, il ne change pas de cap, en se montrant favorable à l’uniforme mais pas à sa généralisation. « C’est un enjeu d’égalité entre les enfants, estime-t-il. Aujourd’hui, les marques de vêtements, ça compte malheureusement beaucoup trop, avec tous les phénomènes matérialistes un peu stupides. Évidemment ce n’est pas du tout conforme à ce que l’on peut souhaiter pour l’école de la République. L’uniforme peut être une réponse. Je n’en fait pas l’alpha et l’oméga d’une politique éducative, mais dans certains cas ça peut être utile ». Conscient des réticences, voire du rejet possible, d’une telle disposition, il insiste sur l’importance du « consensus local » et récuse toute mesure nationale. « Je pense que ce serait la meilleure façon de ne pas accomplir ça », dit-il, avant de mettre en garde : « Vous avez une série de personnes dont le métier est de créer du clivage. On n’a pas besoin de leur donner de prise. »
Trois mois plus tard, le 3 juin 2018, il est à nouveau interrogé sur BFM-TV, après qu’une consultation des parents d’élèves dans la ville de Provins, à l’initiative de la mairie LR, a donné une majorité de 62 % en faveur du port de l’uniforme, non obligatoire toutefois. Son commentaire : « Mon expérience m’a montré que lorsque le débat est posé, il y a en général une forte majorité qui se dégage en faveur de cette mesure car beaucoup de vertus y sont vues. » Nouveau clin d’oeil réussi en direction d’un certain public : le ministre de la remise en ordre pédagogique n’est pas hostile à l’uniforme… En décembre 2020, une nouvelle proposition de loi pour le port de l’uniforme à l’école est déposée par les députés Laure de La Raudière (LR), M’jid El Guerrab (LREM, ancien du PS et de la campagne de Ségolène Royal) et Aina Kuric (LREM). La présence de deux parlementaires macronistes sur un tel sujet, auparavant monopolisé par la droite et l’extrême droite est un indice parmi d’autres de la droitisation ambiante. Le 14 septembre 2021, c’est dans l’émission de Cyril Hanouna Touche pas à mon post, sur C8, et après la tempête médiatique subie à propos de sa phrase sur les « écrans plats » que le ministre est convié à revenir sur ce sujet, désormais introduit de la façon suivante par le chroniqueur Matthieu Delormeau : « Eric Zemmour est pour le retour à l’uniforme, est-ce que vous aussi ? » Le ministre assure qu’il n’a « jamais eu de problème avec le principe de l’uniforme », met en avant la « vertu d’un habit commun » contre les méfaits de la concurrence entre élèves pour « les marques » et réaffirme sa position « pour que les établissements soient libres de pouvoir le faire. On ne peut pas faire ça s’il n’y a pas une adhésion de la communauté, c’est-à-dire des parents d’élèves, des élèves, des adultes ».
Contrairement aux auteurs des propositions de loi sur ce thème, Jean-Michel Blanquer, n’a pas pris l’initiative de le mettre en avant, puisqu’il n’a fait que répondre à des questions. Sa position, favorable mais renvoyant la décision à la base, correspond, selon toute probabilité, exactement à ce qu’il pense. Elle lui permet de ne pas braquer les « contre » tout en gagnant des points de sympathie du côté des « pour ». Si le sujet reste stationnaire, il n’aura qu’à réitérer ses réponses. Si jamais la pression monte en faveur de l’uniforme, il lui sera toujours possible, sans se déjuger, de monter d’un cran : par exemple en favorisant les consultations locales sur ce thème. En tout état de cause, il n’a pas non plus répondu qu’entre toutes les questions scolaires en suspens, celle-ci n’a aucun intérêt. Parmi les les propositions simplistes prétendant rétablir l’autorité, l’uniforme scolaire est l’une des plus illusoires. On peut être un voyou en uniforme (les exemples abondent) et arborer de la « marque » sur des détails vestimentaires. Mais ce commentaire procède sans doute, typiquement, d’une mentalité de gauche nostalgique : en effet, selon plusieurs sondages publiés ces dernières années, une forte majorité de Français, y compris chez les moins de 35 ans, seraient favorables au « rétablissement » (preuve que la question était mal posée) de l’uniforme à l’école.
L.C.