Un atelier haïkus avec des CM1-CM2, par Véronique Decker

panneau-marie-curieVéronique Decker, professeure des école, directrice de l’école Marie-Curie à Bobigny (Seine-Saint-Denis) est pour moi une interlocutrice de longue date. En ce moment, je publie avec elle un blog « Dix ans d’école au pîed des tours », constitué de récits sur son école et son vécu de directrice.

Elle m’a parlé récemment d’un travail sur les haïkus qu’elle réalise en ce moment avec un groupe d’élèves. Cela m’a donnée envie de lui poser « officiellement » une question sur cette initiative et de l’enregistrer. Voici la question – que je prolonge un peu pour faire une petite interview – et ses réponses.

Si cette démarche vous intéresse, n’hésitez surtout pas à en profiter pour faire un tour sur le blog Dix ans d’école au pied des tours, où le premier récit « Une classe de banlieue au pays des mille fromages », consacré aux classes transplantées, aligne déjà une dizaine d’épisodes. C’est ici, bonne lecture !

L.C.

A propos de l’évaluation TIMSS et du débat sur le niveau en calcul

Capture The solutionEn février-mars 2014, je m’étais lancé (et j’avais tenu jusqu’au bout…) dans une très aventureuse série de billets de blog mettant en scène le débat sur le niveau des élèves de primaire en mathématiques, à partir de précédents échanges sur mon blog. Ce débat, comme tous les débats liés à l’éducation, ressurgit à l’occasion de la publication de l’enquête TIMSS. Pour celles et ceux que cela intéresse, voici le récapitulatif que j’en faisais… ainsi, ce qui est plus important, les liens sur les différents billets de la série. L.C.

[février-mars 2014] [Récapitulatif du blogueur.  Ces échanges, partiels, momentanés, confinés à un espace médiatiquement modeste, représentent une heureuse exception. Il est extraordinairement difficile, dans l’éducation nationale, de débattre du moindre point d’organisation ou de méthodologie scolaire en dehors des dialogues de sourds où chaque argument n’est pas jugé en lui-même mais par rapport à sa provenance: ami, ennemi, ami de mes ennemis, ennemi de mes amis…? N’en concluons pas pour autant, selon un cliché convenu et pas toujours innocent, qu’il faut jeter « l’idéologie» à la rivière pour se livrer à une science prétendue impartiale. « L’idéologie», comme la « pensée unique», sont des expressions qui servent à désigner les idées des autres. Et «la» science, surtout dans un domaine aussi complexe que l’éducation, est tout ce qu’on veut sauf unanime et neutre. Mais sur des sujets délimités, dans le cadre de valeurs partagées, au sein d’une même institution et d’une communauté professionnelle s’inscrivant dans sa logique, la confrontation d’arguments rationnels est une nécessité. A travers cette série d’échanges, on voit néanmoins émerger ou réapparaître une réalité aussi embarrassante pour les protagonistes eux-mêmes, qui aimeraient emporter les convictions, que pour les politiques toujours à l’affût, ce qui est bien compréhensible, de la «décision claire et efficace»: le consensus souhaité, rassurant, soulageant, se dérobe sans cesse. Qu’il s’agisse de la lecture – un débat en train de revenir au premier plan – ou comme ici du calcul, la recherche de la bonne façon de faire, rationnellement étayée et loyalement évaluée, reste un chantier à peine ébauché. Et il est fort possible qu’un pluralisme des approches et des pratiques soit la seule solution. Encore faudrait-il que toutes les écoles de pensée en présence acceptent de jouer le jeu de la confrontation méthodique au lieu de se reposer sur la communication, le lobbying et l’argument d’autorité. Ce n’est pas encore le cas. C’est aussi le rôle des médias, grands ou petits, de les y inciter… L.C.]

 The end

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Les temps de l’éducation, le poids du politique

 

A. Couder. Le Serment du Jeu de Paume, 1789
A. Couder. Le Serment du Jeu de Paume, 1789

La vie de notre système éducatif se déploie sur différentes temporalités qui peuvent soit être en phase les unes avec les autres, comme dans une sorte de symphonie rythmique – on s’approcherait alors d’un idéal, bien entendu jamais atteint – soit de manière plus ou moins désaccordée.

Par exemple, lorsqu’un pouvoir politique amorce une « refondation » (je ne crois plus à la majuscule) de l’éducation, donc pas une mince affaire, lorsqu’il commence à accumuler les cafouillages dès les premières étapes et qu’enfin il se livre à une désespérante valse des ministres, on se trouve dans une situation de plus en plus « désaccordée ». C’est celle que nous connaissons en cette troisième rentrée sous un pouvoir politique de gauche. Notons que, même si la rentrée 2012 était mécaniquement associée à l’action du gouvernement précédent, il n’y en aura plus que deux, normalement, sous l’actuel régime. La moitié du chemin est déjà dépassée.

Il est donc légitime de s’interroger sur la réalité de ce qui aurait été déjà « refondé » et, à la lumière de cette première période, sur les chances de réalisation, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles s’amoindrissent, de ce qui était annoncé au départ. Pour cela il est bon de distinguer les différentes temporalités qui rythment la vie de l’Education nationale et la perception qu’en ont ses acteurs. Personnellement, j’en vois trois principales : le temps de l’institution, celui de la politique et celui de la communication.

Une convention utile

Je précise « personnellement » pour relativiser mon point de vue en soulignant que ce n’est « que » mon point de vue. Peut-être, après tout, qu’il n’y a pas trois temporalités, ou trois temps, de l’éducation, mais quatre ou cinq. Et sans doute n’y a-t-il, au fond, qu’un seul temps, fait d’évolutions simultanées et enchevêtrées. Mais justement, cette idée de distinguer des temps différents est une convention utile pour tenter de créer un ordre intelligible là où tout est embrouillé et difficilement saisissable.

Le temps de l’institution correspond à celui de la vie réelle de ses acteurs et de son public d’élèves. Le temps de la politique correspond, lui, aux vraies décisions prises au niveau gouvernemental. Quant au temps de la communication, il correspond à… l’impression donnée à l’opinion sur ce que les politiques sont censés faire. Ce temps de la communication peut être perçu à la fois comme une excroissance, une accélération et une perversion du temps politique. Mais c’est un sous-ensemble qui tend aujourd’hui, sur tous les sujets (donc pas seulement dans l’éducation) à prendre son autonomie, c’est-à-dire que la production du message devient une fin en soi, qui ne change rien à rien.

Un exemple de ce qu’on peut appeler le « temps de la com » en éducation ? Prenons-en plusieurs. En voici un lointain (à l’échelle de la com) : le fameux « je veux une école où les élèves se lèvent lorsque le professeur arrive » de Nicolas Sarkozy pendant la campagne de 2007. Formule percutante, impact garanti. Sept ans plus tard, des professeurs continuent d’arriver dans ou devant leurs salles de classe, de faire entrer leurs élèves, de les faire asseoir à leur signal ou non, comme avant. Chacun à leur manière et sans aucun lien avec cette formule, qui n’a rien produit dans la réalité scolaire et n’a eu d’effet que sur l’image de son auteur.

Produire un effet

Autre exemple, celui-là récent et d’une échelle infiniment plus modeste : à l’université d’été du Medef, la directrice de la mission formation initiale de l’organisation patronale, au demeurant sympathique (la directrice) envoie un tweet citant entre guillemets l’académicien, écrivain et économiste Erik Orsenna qui aurait dit : « 15 % de jeunes qui ne savent pas lire ou écrire, c’est un scandale moral mais aussi une imbécillité économique ». Ce chiffre est faux car il mélange les mauvais lecteurs, les très mauvais lecteurs et les non-lecteurs – ce qui n’est pas du tout la même chose. En témoigne l’enquête lecture de la JAPD (Journée d’appel et de préparation à la défense) 2013, dernière en date (et dernière de cette appellation, changée en 2014 pour JDC, Journée défense et citoyenneté). Cette enquête annuelle sur la tranche d’âge des 17 ans fait état d’environ 10 % des jeunes « en difficulté » dont environ 4 % en « grave difficulté ». C’est ce dernier groupe qui se rapproche le plus, sans s’y assimiler en entier, d’une situation d’illettrisme.

Clamer « 15 % des jeunes ne savent pas lire ou écrire » est donc faux mais produit son effet, que ce soit devant un public riche, modeste, moyen, de gauche, de droite… Effet annexe : un succès rhétorique garanti devant tout contradicteur, que l’on accusera de vouloir « casser le thermomètre » pour mieux pratiquer le déni de la réalité. C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé lorsque j’ai « gazouillé » une protestation. Micro-exemple donc, dans le registre de la « com », avec cette nuance que, comme beaucoup d’autres propos publics sur l’éducation, celui-là ressort de la catégorie de « l’éphémère permanent » : oxymore désignant des messages ou des propos immédiats, rapides, superficiels mais qui reviennent souvent et nourrissent un discours de long terme.

Gardons l’exemple des performances en lecture pour aborder le temps de l’institution. Le « vrai » temps de l’institution serait en principe celui du terrain (encore que les deux, confondus ici pour la clarté du schéma, pourraient être distingués si par « institution » on entend seulement l’univers hiérarchique de l’administration et de ses directives). Intégrons pleinement à l’institution l’action des enseignants à la base, sans laquelle elle n’existerait pas.

Le temps du réel

Dans ce temps du réel, seuls d’énormes, lents, durables et opiniâtres efforts – des enseignants comme des enseignés – sont susceptibles de permettre, par exemple, le passage d’un élève d’une catégorie de mauvais lecteurs à une catégorie de moins mauvais. Cela s’appelle le travail. L’institution éducative, chaque jour, travaille, même si cela ne crée aucun « événement ». Cette institution est notamment faite d’enseignants et de hiérarchies diverses, les deux pouvant s’opposer tout en travaillant. Elle ne travaille pas que dans les classes. Elle agit aussi dans les champs de l’accompagnement, de la préparation de l’avenir, de la recherche d’une meilleure organisation, etc. Une grande partie de ce travail est médiatiquement peu visible ou ne l’est qu’à « basse intensité », comme on dit des conflits qui ne passent pas en boucle sur les chaînes info.

Des exemples ? Avec beaucoup d’injustice pour des dizaines d’autres possibles, en voici quelques uns. Citons le travail réalisé par Eduveille, dans le cadre de l’Ifé (Institut français d’éducation, qui a succédé à l’INRP). Dans le même cadre, NéoPass@action, la plate-forme de ressources en ligne, notamment vidéo, mise en place au service de la formation des enseignants et des formateurs. Sur l’analyse et la prévention des violences et du harcèlement, le travail réalisé par Eric Debarbieux, délégué ministériel, d’un ministère à l’autre (nommé par un Luc Chatel non-sectaire, il a continué sous les suivants). Le réseau Respire, « réseau social des professionnels de l’éducation », lancé par le ministère en 2012, consacré à l’innovation et qui, malgré son caractère officiel, favorise les échanges entre pairs, donc hors pression hiérarchique. Citons encore un organisme auquel les journalistes pensent rarement, tant son inscription dans le paysage paraît naturelle : l’ONISEP qui, traversant imperturbablement toutes les polémiques vaines sur l’orientation, continue à produire le seul outil valable en ce domaine : de l’information solide, actualisée et bien présentée sur toutes les branches d’activité et leurs métiers.

Toujours quelques années

Arrêtons là cette liste, car elle pourrait être quasi infinie. J’ai choisi les exemples parmi des actions que je juge particulièrement positives, mais d’autres observateurs auraient pu faire des choix différents, tout en restant dans le même registre. Ces quelques exemples se placent véritablement, (sauf accident politique qui viendrait « flinguer » telle ou telle action), dans le temps long de l’institution éducative. Le temps du métier, de ses défis et de ses aléas. Ce temps où pour « remonter » un établissement malade, il faut au minimum quelques années à la meilleure des équipes.

Ce temps aussi où, pour approcher la meilleure des préconisations possibles en matière d’apprentissages fondamentaux en maternelle et en primaire, il faut encore, après des années de polémiques et de revirements, remettre l’ouvrage sur le métier en organisant une confrontation raisonnée, si possible fondée sur des éléments tangibles, entre des experts aux thèses et aux conclusions qui restent très divergentes. Soit un travail se situant directement dans le temps long de l’institution, car intégrant des problématiques complexes et des données historiques, mais dont l’issue reste déterminée par la décision politique. Ce qui nous amène, parmi les trois temporalités citées en préambule, au temps politique de l’éducation.

Ce temps politique – combien de fois l’a-t-on répété – est en permanence en contradiction avec le temps de l’institution du seul fait qu’il est rapide et focalisé sur les échéances électorales donc sur la recherche de bénéfices immédiats, en termes de résultats, alors que les seuls résultats « attrapables » ne le sont qu’au bout de plusieurs années… à supposer que les décisions prises aient été les bonnes. Quand le décalage devient flagrant, les professionnels de l’éducation, même les plus motivés, intègrent l’idée qu’ils n’ont rien à attendre du ministre en place ni même de l’instance politique en général. Ils se réfugient dans le temps long.

Relatif et aléatoire

Le temps politique n’est important et positif, au sens de ce qui procure une prise sur les événements, que s’il se place en phase avec la vraie durée du temps éducatif. C’était le projet annoncé par un adepte déclaré du temps long, Vincent Peillon, qui a commencé à instiller le doute lorsqu’il a annoncé sa candidature aux élections européennes. Ce faisant, alors qu’il était déjà affaibli – par ses propres erreurs, par les épreuves déjà subies dans l’Education nationale et, à l’extérieur, par le début de la déroute présidentielle – il a contribué à créer lui-même les conditions d’une dévalorisation de toute la démarche de « refondation ». Celle-ci, depuis, a été rétrogradée, par son départ puis par le départ de son successeur, à quelque chose de relatif et d’aléatoire, par-delà toutes les réaffirmations solennelles possibles.

La question, relayée par certains journalistes impertinents, s’est posée d’elle-même ces dernières semaines : après tout, un ministre pour quoi faire ? Non seulement, la rentrée peut s’en passer, mais toutes les actions silencieuses qui correspondent au temps long de l’institution peuvent continuer de s’accomplir sans tambours ni trompettes. Il est vrai que, sous réserve de régler certains points juridiques comme la signature des décrets, l’existence d’une autorité incarnée n’est pas indispensable au quotidien. En revanche, ce serait, à terme, une insupportable dévaluation de l’éducation dans l’ordre symbolique. Le sentiment d’abandon «  en rase campagne » (selon la formule de Christian Chevalier, du SE-UNSA) ressenti par beaucoup d’enseignants au moment de la confirmation du départ de Benoît Hamon, suffit à le souligner.

Le registre suprême

Que restera-t-il du projet initial ? « La prévision est difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir », dit un aphorisme attribué à Pierre Dac. Najat Vallaud-Belkacem, propulsée au premier plan par les péripéties du jeu politique, n’est pas dépourvue de capacités mais – outre qu’elle doit découvrir un continent – hérite d’une marge de manœuvre dégradée. Au-delà du seul personnage incarnant l’Education nationale, c’est l’ensemble du gouvernement et même l’exécutif tout entier qui est aujourd’hui entravé, cerné, limité par son insuccès et son impopularité record. Même si Benoît Hamon était resté en poste, le « crédit changement » du ministre de l’éducation était déjà considérablement  restreint.

Sans compter qu’au-delà de la seule configuration gouvernementale, ce sont les idées et les valeurs traditionnelles de gauche qui, dans l’opinion, subissent une décote spectaculaire. Et qu’est-ce que l’Education nationale sinon une grandiose histoire de gauche, entérinée, récupérée, intégrée par les générations successives de la droite républicaine ? Cette droite qui est en train de changer et d’orienter son gouvernail vers le cap libéral-autoritaire, où l’enseignant incarne la figure honnie du fonctionnaire syndiqué… Comme d’autres milieux, le monde enseignant a tendance à ignorer l’extérieur. En l’occurrence, c’est bien dans le registre suprême du politique et dans sa temporalité que se joue l’avenir de l’éducation.

Luc Cédelle

Enseignement du calcul: des éléments pour un débat (6/6)

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Nous voici au sixième et dernier acte de ce débat théâtralisé consacré aux premières approches du calcul, en maternelle et au CP. Débat bien réel, puisque dans cette série, les commentaires précédemment laissés sur ce blog par des lecteurs (au point d’en faire un véritable fil de discussion) remontent au premier plan pour fournir la matière des billets.

Débat d’experts? Débat abscons? Oui et non. Oui, car ces échanges, sur des sujets qui terrorisent les littéraires, ne sont «parlants» que pour des professionnels motivés. Non, car ils n’exigent tout de même pas d’avoir fait Polytechnique, portent sur les débuts de la scolarité et s’imposent au moment où les programmes sont remis en chantier.

Une fois le rideau tombé, une nouvelle étape de mise en scène serait encore nécessaire d’un point de vue de technique journalistique: reprendre l’ensemble de ces échanges encore bruts et en travailler un «digest» facilement accessible. J’espère avoir le temps de le réaliser.

Cet acte commence par un texte de Rémi Brissiaud auquel celui-ci accorde une valeur importante dans le débat sur les futurs nouveaux programmes. C’est un thème sur lequel il est «monté au créneau» ces dernières semaines, notamment par des contributions au Café pédagogique, où il ferraille avec les tenants de l’«evidence based education», la tendance à succès du moment qui prétend simplifier les décisions de politique éducative.

Ici, évidemment, ce chercheur a des contradicteurs… qu’il contredit à son tour, etc. Le «dernier mot» sera donc le résultat d’une coupure arbitraire. D’autant que certains ont déjà repris le débat en commentant à nouveau chacun des actes de cette série, qu’il est toujours possible, en cliquant ici, de prendre à partir du début.

Le rideau bouge. Place aux arguments.

Luc Cédelle

 

Acte 6

Où l’on accourt pour se quereller aimablement sur l’usage cardinal et l’usage ordinal des nombres

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Acte 6. Scène 1. Rémi Brissiaud à tous

À Michel Delord et à bien d’autres, j’espère…

[Rappel du blogueur : Michel Delord ancien professeur de mathématiques dans le secondaire, a été à l’origine de la création du GRIP (Groupe de réflexion interdisciplinaire sur les programmes), dont il n’est plus membre. Rémi Brissiaud est chercheur en psychologie cognitive au laboratoire Paragraphe à l’université de Paris 8 et auteur de manuels. Depuis le début de ce fil de discussion, Michel Delord et Rémi Brissiaud en sont les contributeurs les plus opiniâtres.]

J’avais survolé votre texte il y a quelques mois et il m’avait laissé dubitatif parce que vous y mélangiez des propos concernant l’articulation entre les notions de nombre cardinal et de nombre ordinal avec d’autres qui concernaient vos rapports avec le GRIP. J’aimerais que cet écrit n’apparaisse partisan dans aucune polémique et je m’intéresserai seulement à cette question qui concerne les apprentissages numériques à l’école : quel usage des mots «nombre », « cardinal » et « ordinal » faut-il recommander aux chercheurs et aux enseignants ?

Il est d’autant plus important de répondre à cette question que, comme nous allons le voir, cela éclaire les enjeux d’un débat qui se joue actuellement dans la commission de rédaction des futurs programmes pour l’école maternelle : faut-il redonner aux enseignants de Grande Section la liberté de n’aborder que les 10 premiers nombres à l’école maternelle ?

Le nombre est nombre, indistinctement cardinal et ordinal
Vous dites que le nombre à l’école primaire est à la fois cardinal et ordinal. Il me semble qu’il faut être plus précis : il est indistinctement cardinal et ordinal. En effet, cette nuance a des conséquences importantes. Pour les lecteurs non mathématiciens, il faut signaler qu’il s’agit là d’une vérité mathématique : à l’école les nombres sont finis ; or, c’est seulement lorsqu’on s’intéresse à des ensembles infinis qu’on arrive à dénicher des ordinaux qui ne sont pas des cardinaux. Lorsqu’on reste dans les ensembles finis, donc, le nombre est nombre, indistinctement cardinal et ordinal. Parler de « nombre cardinal » ou de « nombre ordinal » n’apporte aucune information de plus que lorsqu’on parle de « nombre » et, donc, l’emploi de ce mot « nombre », sans aucun qualificatif, est préférable parce que dans une démarche de théorisation, il vaut mieux s’abstenir d’utiliser des mots qui ne servent à rien.

En revanche, les nombres ont deux grands usages : la mesure des grandeurs (les collections seront considérées ici comme des grandeurs) et la représentation des rangs. Souvent, on parle d’usage cardinal du nombre lorsqu’il sert à mesurer des grandeurs et d’usage ordinal lorsqu’il sert à repérer un rang. On comprend bien ce que signifient ces deux expressions : usage cardinal et usage ordinal des nombres. Dans cet emploi, les mots « cardinal » et « ordinal » permettent de référer à deux entités bien distinctes : les contextes correspondants, et on ne peut guère s’en passer.

D’un point de vue pédagogique ou didactique, les grandeurs (usage cardinal) et les rangs (usage ordinal) doivent-ils être mis sur le même plan ? La réponse est assurément non, pour une raison bien simple : alors qu’il n’y a pas de mesure des grandeurs efficace sans nombres, le repérage des rangs peut se faire dans la plupart des contextes à l’aide de simples numéros, c’est-à-dire avec des entités qui ont bien moins de propriétés que les nombres. Et c’est là que s’introduit un troisième concept, indispensable, et qui doit être distingué des deux autres : celui de numérotation.

La numérotation suffit la plupart du temps pour repérer les rangs
Souvent, on comprend mieux les choses quand on change de système de notation parce que cela permet de prendre conscience de ce qui dépend des symboles employés et ce qui est intrinsèque aux concepts. Les symboles utilisés pour numéroter les éléments d’une liste peuvent être divers et ils dépendent évidemment de la taille de l’ensemble correspondant : système utilisé dans les hôtels (chambres 101, 102…, 201, 202…), lettres de l’alphabet munies de l’ordre alphabétique, etc. Les lettres conviennent particulièrement bien pour les ensembles de petite taille, elles sont d’ailleurs d’un usage courant. On les trouve par exemple dans les théâtres, quand, dans chaque rangée, les fauteuils sont numérotés : A, B, C…

Un numéro n’est pas un nombre parce qu’il est clair qu’un numéro ne véhicule pas nécessairement l’idée de la pluralité correspondant à l’ensemble des numéros jusqu’à lui : lorsqu’on a la chambre d’hôtel « 407 », par exemple, on ne sait pas combien il y a de chambres jusqu’à la nôtre mais cela ne gêne en rien. Même dans les contextes où tous les numéros sont alignés dans l’ordre, comme celui d’un théâtre dont les sièges sont numérotés avec des lettres, les numéros n’ont pas les propriétés des nombres : sachant que « j’ai le siège R », par exemple, je n’ai nullement besoin de penser à la pluralité correspondante pour retrouver mon siège. Nous sommes d’ailleurs complètement incapables de répondre de manière précise à la question : « C’est combien R ? ». Pour répondre, il faudrait définir R à l’aide d’un rang plus petit qui sert de repère, le rang correspondant à 10, par exemple. Or, nous ne disposons pas d’un tel repère. Peu importe d’ailleurs, parce que cela ne nous empêche nullement de retrouver notre siège. Les numéros n’ont pas les propriétés des nombres mais ils remplissent plutôt bien leur rôle.

La numérotation ne conduit pas au nombre
Il faut l’affirmer : il est impossible de passer des numéros aux nombres sans transiter par un contexte cardinal parce que l’intelligence des nombres résulte de la maîtrise des relations construites à partir des actions d’ajout et de retrait dans un contexte cardinal. Pour en prendre conscience, il suffit d’imaginer que dans la situation des sièges de théâtre, on décide de remplacer les lettres par les écritures chiffrées habituelles. Quelles conséquences cela a-t-il ? En remplaçant la lettre R par l’écriture chiffrée 18, on ne fait pas que remplacer un système de numérotation quelconque par un autre, parce que le système des écritures chiffrés est un système numérique, c’est-à-dire un système de numérotation « extra-ordinaire » qui est bien plus informatif qu’un système de numérotation « ordinaire » : quand on est passé devant le siège 6, par exemple, on était au tiers du chemin vers le 18 ; quand on est passé devant le siège 9, on était à mi-chemin ; quand on est passé devant le siège 10, on était à 8 rangs de celui visé ; quand on est passé devant le siège 15, on en était à 3 rangs, etc. On aurait été incapable d’accéder à de telles connaissances avec les numéros que sont les lettres F (6), I (9), J(10) et O (15) respectivement. En remplaçant un système de numérotation quelconque par un autre qui, lui, est numérique, on récupère toutes les connaissances numériques que ce dernier véhicule.

Or, on n’a jamais vu quiconque acquérir l’intelligence des nombres, c’est-à-dire la connaissance de telles relations, en apprenant à maîtriser, au sein d’un système de numérotation, les relations entre chaque élément et son successeur, le successeur de son successeur, etc. Il y a de bonnes raisons pour cela : la commutativité, par exemple, signifie dans un contexte ordinal que le xème élément après le yème est aussi le yème après le xème. Il existe de nombreux contextes cardinaux dans lesquels la commutativité est presque évidente : lorsqu’on réunit une équipe de garçons et une équipe de filles, a-t-on ajouté les filles aux garçons ou les garçons aux filles ? Appliquée aux rangs, la commutativité n’est jamais évidente. Il faut se l’approprier dans un contexte cardinal avant d’être convaincu que, dans un contexte ordinal, ça marche encore. Ainsi, le nombre est nombre avant d’être utilisé dans un contexte ordinal et il se construit nécessairement dans un contexte cardinal.

La numérotation permet de réussir sans mobiliser les « vrais nombres »
De tout temps aux États-Unis et depuis 1986 en France, une file des écritures chiffrées est affichée dans pratiquement toutes les classes de GS, de CP et de CE1. Elle est souvent au-dessus du tableau. Or, on dispose de nombreuses preuves du fait que cette file fonctionne comme une file numérotée dans la tête des enfants : lorsqu’on demande à un enfant de montrer 18, par exemple, il montre la case 18, c’est-à-dire le numéro. Il ne pense pas aux pluralités que constitueraient 18 pommes, 18 chaises, 18 pigeons…, ni même, souvent, à la pluralité que constituent les 18 premières cases.

Et dans presque toutes les méthodes de CP, cette file numérotée est utilisée afin que les élèves apprennent à donner le résultat d’une addition quelconque : 18 + 3 = …, par exemple. Pour prendre conscience de ce que les élèves apprennent et de ce qu’ils n’apprennent pas avec les leçons correspondantes, il est intéressant de poursuivre notre simulation en imaginant que le matériel utilisé est une file numérotée avec les lettres de l’alphabet, et qu’il s’agit de calculer R + C = …, c’est-à-dire l’écriture qui correspond à 18 + 3 = … dans notre simulation. En effet, cette situation d’usage d’une file numérotée avec des lettres est celle d’un élève qui, face aux écritures chiffrées, ne connaît aucune des relations numériques évoquées précédemment (18, c’est 2 fois 9, c’est 10 plus 8, c’est 15 + 3, etc.). Les élèves qu’on qualifie souvent de « fragiles » sont, devant la file des écritures chiffrées, comme nous sommes devant la suite des sièges d’un théâtre.

Décrivons ainsi cette leçon sur l’addition, sachant, évidemment, que dans la réalité de la classe, les numéros sont donnés sous forme chiffrée. Pour compléter R + C =…, l’enseignant demande aux élèves de mettre le doigt sur la case R (ce sera la case de départ) et il continue ainsi : « Avec le doigt, on part de la case R et on va se déplacer de C cases vers la droite. Il faut dire A au-dessus de la case suivante (la case S), dire B au-dessus de la suivante (la case T) et enfin C au-dessus de la suivante (la case U) ». Les élèves ont alors le doigt sur la case U, celle d’arrivée. L’enseignant dit aux élèves que c’est le résultat cherché et il leur demande de compléter l’égalité avec ce qui est écrit dans cette case : R + C = U. Plusieurs exemples sont traités et ça y est, les élèves savent ce qu’il faut faire pour compléter une « addition ».

Le mot « addition » vient d’être mis entre guillemets parce que, malheureusement, même si cette égalité ressemble à une addition, il est probable que l’idée d’ajout aura été totalement absente de la tête de nombreux élèves. Par ailleurs, dans la réalité de la classe, cette leçon aura conduit les élèves à écrire : 18 + 3 = 21 (21 correspond à U, évidemment) mais, de même que l’évocation des « vrais nombres » correspondants à R et U, n’est d’aucune façon nécessaire pour compléter R + C =…, l’évocation des « vrais nombres » correspondants à 18 et 21, est superflue pour compléter de cette manière : 18 + 3 = …

Suite à une telle leçon, les élèves deviennent capables de donner les bonnes réponses en utilisant la « recette » qu’on leur a montrée (repérer la case de départ, etc.), recette qui porte sur des numéros, alors que dans leur tête, ils ne mettent pas en relation des pluralités (des « vrais nombres »), ils ne calculent pas. Le plus grave est que, comme ils donnent les bonnes réponses, personne ne s’inquiète du fait qu’ils ne maîtrisent pas les relations numériques nécessaires (18, c’est 2 fois 9, c’est 10 plus 8, c’est 15 + 3, etc.) Personne : ni l’enseignant, ni les parents, ni les enfants eux-mêmes évidemment.

La suite est connue : les élèves donnent les bonnes réponses mais ils ne progressent pas comme ils devraient ; comme ils ne mettent pas en relation des pluralités, ils ne mémorisent pas les relations correspondantes, ils ne mémorisent pas les résultats d’additions élémentaires et restent prisonniers de la numérotation. Ce sont, comme disait Henri Canac, des « élèves mal débutés » qui ne mémorisent pas les résultats d’additions élémentaires. La plupart du temps, cependant, c’est l’étiquette d’ « élèves peu doués », voire « dyscalculiques » qui, vers le CE2, leur est apposée.

La numérotation « empêche de penser, de calculer »
Les pédagogues qui se sont le mieux exprimés concernant la numérotation sont certainement les époux Fareng, en 1966 (ils étaient conseillers pédagogiques d’une des grandes inspectrices générales des écoles maternelles, Madame Herbinière-Lebert). Ils écrivaient :
« … cette façon empirique fait acquérir à force de répétitions la liaison entre le nom des nombres, l’écriture du chiffre, la position de ce nombre dans la suite des autres, mais elle gêne la représentation du nombre, l’opération mentale, en un mot, elle empêche l’enfant de penser, de calculer ».

Cette citation est remarquable parce que dans le même temps qu’elle souligne les progrès à court terme que permet la numérotation, elle en note les limites concernant les progrès à long terme. Je pense avoir montré dans mon dernier petit ouvrage que tous les faits empiriques concordent : qu’on fasse appel aux résultats d’enquêtes en sociologie de l’éducation, à l’histoire des discours et des pratiques scolaires, à la psychologie des apprentissages numériques, à la psychologie clinique, à la psychologie interculturelle, dans tous les cas, les résultats disponibles concordent avec la thèse d’un effet délétère à long terme de l’enseignement de la numérotation.

Après 1986, date des premières instructions officielles concernant l’école maternelle qui recommandent d’apprendre la suite des noms de nombres comme une suite de numéros, l’usage de la numérotation s’est rapidement généralisé à l’école maternelle. Les progrès à court terme que la numérotation permet, expliquent ce phénomène : il est difficile aux enseignants de résister à ce qui apparaît comme des succès pédagogiques à portée de main.

Il faut aujourd’hui permettre aux enseignants de différencier l’enseignement de la numérotation de l’enseignement des nombres. Il est facile d’enseigner la numérotation jusqu’à 30 et même au-delà à l’école maternelle. Il est difficile d’enseigner les nombres jusqu’à 10 à l’école maternelle. Un enjeu crucial de l’élaboration des prochains programmes sera d’obtenir qu’ils spécifient explicitement que les enseignants ont dorénavant la liberté de n’aborder que les 10 premiers nombres à l’école maternelle, lorsqu’ils font le choix d’enseigner les nombres et pas seulement les numéros. Il faut dire explicitement aux enseignants qu’ils ont la possibilité de renouer avec la culture pédagogique qui, vers 1950, était celle de l’« Éducation nouvelle » avec des personnalités comme Gaston Mialaret, Henri Canac, etc.

PS1 : On trouve dans mon dernier ouvrage une sorte d’autocritique : en 1989, je mettais en garde contre l’emploi d’une file numérotée mais j’essayais également d’en aménager l’usage pour le sauver (repère 10, curseur qui sépare les cases plutôt que les entourer…). Aujourd’hui je considère que les procédés précédents sont vains.

PS2 : En mathématiques, numéroter un ensemble, c’est le munir d’une structure de « bon ordre ». En fait, le même contenu que celui abordé dans ce texte, se trouve, en plus matheux (je parle de morphisme !) mais avec certaines formulations moins précises (on s’améliore !) dans un compte-rendu de mon intervention au séminaire national de didactique des mathématiques de mars 2013 (bientôt sur le site de l’ARDM).

PS3 : Le concept de « numérotation » n’émerge pas dans la littérature scientifique internationale parce que le mot « numéro » n’a pas d’équivalent en anglais (number signifie à la fois nombre et numéro). Il faut profiter de la chance que nous offre la précision de notre langue.

Rédigé par : Brissiaud Rémi | le 17 mars 2014 à 12:36 |

 

Acte 6. Scène 2. Rudolf Bkouche à Rémi Brissiaud

[Rudolf Bkouche, mathématicien, professeur émérite à l’Université de Lille 1, spécialiste de l’épistémologie et de l’histoire des mathématiques. Présentation plus complète dans l’Acte 1.]

Monsieur Brissiaud,

Sous prétexte de mettre de l’ordre, vous mélangez beaucoup de choses. En distinguant avec raison le nombre et le numéro, vous oubliez que pour dénombrer on compte, que dans la comptine qui accompagne le comptage, les nombres ne sont pas des numéros, mais des nombres. Je parle de compter des objets en utilisant la comptine, non de réciter la comptine pour elle-même.
D’accord avec vous pour dire que réciter la comptine indépendamment du comptage n’est pas compter, mais vous oublier le rôle de la comptine dans l’acte de compter.
Je comprends qu’on veuille mettre de l’ordre dans ces connaissances, mais la mise en ordre n’est pas une simple formalité, c’est un approfondissement des connaissances. Ce qui vous dérange c’est l’aspect empirique du comptage dans lequel se mêlent diverses opérations. Mais peut-on éviter ces aspects empiriques.
Quant à la distinction cardinal/ordinal, elle commence bien avant l’étude de l’infini et de la théorie des ensembles, mais c’est peut-être d’abord une distinction langagière qui relève de la grammaire.
Par contre, quand on compte, les deux notions s’entremêlent, mais peut-on faire autrement. Avant de parler de l’ensemble des nombres, notion née à la fin du XIXème siècle, on parlait de la suite des nombres, ce qui mélange cardinal et ordinal. Est-ce grave ?
Ce qui vous reste de la réforme des mathématiques modernes, c’est de penser que pour apprendre et pour comprendre, il faut connaître les fondements de ce qu’on apprend ; non seulement une erreur pédagogique, mais une erreur épistémologique. L’activité scientifique nous apprend qu’on fonde après coup, pour mettre de l’ordre dans ses connaissances. Si on commence par fonder, on risque, comme le rappelle Bachelard, de ne jamais bâtir. Et même si cela se passe différemment dans l’enseignement, on a le même problème. Il faut prendre en compte le fait que l’apprentissage ne peut se passer des ruptures nécessaires. On peut attendre que la connaissance des nombres évolue au cours de l’apprentissage.

Rédigé par : rudolf bkouche | le 17 mars 2014 à 17:04 |

 

Acte 6. Scène 3. Rémi Brissiaud à Rudolf Bkouche

Monsieur Bkouche,

Quand vous dites : « Quant à la distinction cardinal/ordinal, elle commence bien avant l’étude de l’infini et de la théorie des ensembles, mais c’est peut-être d’abord une distinction langagière qui relève de la grammaire. », vous avez raison et votre propos est très proche du mien : la distinction n’est pas mathématique, elle renvoie à deux types de situations différentes (mesure des grandeurs et représentation des rangs) mais aussi à deux façons de s’exprimer : les quatre lapins vs. le quatrième lapin ou le lapin numéro 4 (en contexte ordinal, on s’exprime d’une façon ou de l’autre).

Quand vous dites : « Ce qui vous dérange c’est l’aspect empirique du comptage dans lequel se mêlent diverses opérations. », j’avoue que je ne comprends pas. Je recommande de ne pas enseigner le comptage comme un numérotage : « le un, le deux, le trois, le quatre », mais de l’enseigner comme un dénombrement : « un ; et encore un, deux ; et encore un, trois ; et encore un quatre ». Expliquez-moi en quoi une façon de s’y prendre serait plus ou moins « empirique » que l’autre. Franchement, je ne vois pas ce que vous voulez dire.

Quand je compare les deux façons d’enseigner précédente, la seconde est, pour moi, plus explicite que la première. Êtes-vous en train de suggérer qu’il faudrait s’y prendre de la première façon, afin de créer un obstacle à la compréhension des élèves pour qu’ultérieurement ils puissent mieux surmonter cet obstacle ? Êtes-vous sûr que c’est ce que Gaston Bachelard a essayé de nous dire ?

Bien cordialement,

Rédigé par : Rémi Brissiaud | le 18 mars 2014 à 15:09 |

 

Acte 6. Scène 4. Rudolf Bkouche à Rémi Brissiaud

Monsieur Brissiaud,

Je ne comprends pas votre distinction entre le comptage-numérotation et le comptage dénombrement. Pour dénombrer une collection d’objets on compte, c’est-à-dire qu’on dit la suite des nombres, la comptine. Je ne vois pas comment faire autrement. Je ne propose donc ni la première façon, ni la seconde façon, une distinction qui n’a pas lieu d’être mais que l’on peut expliciter une fois que les élèves savent compter.

Bien cordialement
Rudolf

Rédigé par : rudolf bkouche | le 18 mars 2014 à 21:52 |

 

Acte 6. Scène 5. Rémi Brissaud à Rudolf Bkouche

A M. Bkouche,

Sauf que les mots réfèrent ! Quand vous prononcez un mot devant un jeune enfant en utilisant un pointage du doigt, la signification qu’il va attribuer au mot, dépend de ce que vous pointez.

Imaginez des jetons, 5 par exemple, que vous allez compter en les déplaçant du bord de la table vers son centre. Il n’y a qu’une façon de commencer : vous dites « un » en déplaçant un jeton. Pour continuer, il y a deux possibilités de coordination entre le pointage du doigt et la prononciation du mot « deux » :

– Soit vous dites « deux » dès le moment où vous posez le doigt sur le jeton, c’est-à-dire avant qu’il soit déplacé, et l’enfant comprendra que vous allez déplacer un jeton qui s’appelle « le deux ».

– Soit vous ne dites « deux » qu’après que le jeton ait été déplacé, c’est-à-dire après que la collection de deux jetons ait été formée. Et l’enfant comprendra que lorsqu’on ajoute un jeton à un autre jeton, on forme une collection de deux jetons.

Les deux mêmes possibilités existent avec les jetons suivants, évidemment. La première façon de faire correspond à ce que j’appelle l’enseignement d’un comptage-numérotage, la seconde est une tentative d’enseignement du comptage-dénombrement.

Et l’enseignement du comptage-dénombrement peut être plus explicite (i.e. « portée par le langage ») : il suffit de dire : « Un », « Et encore un, deux », « Et encore un, trois », « Et encore un, quatre », « Et encore un, cinq ». Je vous laisse imaginer ce que fait le doigt au moment où chacun des noms de nombres précédents sont prononcés.

Comme je dis aux enseignants de maternelle dans les situations de formation que j’anime : c’est un métier compliqué que vous faites.

Rédigé par : Remi Brissiaud | le 20 mars 2014 à 11:50 |

 

Acte 6. Scène 6. Catherine Huby à Rémi Brissiaud

[Note du blogueur: Catherine Huby est membre du GRIP et auteur de manuels d’apprentissage de la lecture édités par cette association. Pour la situer, elle est l’auteur du texte « Mon métier à moi, c’est maîtresse d’école », publié en billet sur ce blog . L.C.]

Je pense que M. Brissiaud veut dire qu’il ne s’agit pas de comptage au sens où nous l’entendons.
Ces enfants qui ont appris trop tôt à chantonner « undeuxtroisquatcinq… » comme naguère d’autres psalmodiaient « jevoussalumaripleinedegrace » n’ont jamais pu faire la « bascule » entre cette première chanson apprise avec peine (mon petit-fils, tout juste trois ans, en est à « un deux trois sept huit sept huit sept huit »).
Comme de plus à cette chansonnette, moins drôle que le « Un deux trois, j’irai dans les bois… » de notre enfance, on leur a ajouté la reconnaissance de signes aussi abscons pour eux que les caractères des mantras que lisent les moines tibétains pour nous, cette chanson a encore moins de sens (imaginez mon petit bonhomme qui tape sur la file numérique et dit certes un, deux, trois en montrant1, 2, 3 mais dit sept, huit, sept, huit, sept, huit en montrant 5, 6, 7, 8, 9, 10).
Enfin, comme la décomposition de ces nombres, ce que fait spontanément le tout-petit que je viens d’évoquer en dépliant ses doigts : « Moi, je veux un, et un, et un, et encore un. Je veux tout ça ! », nos élèves de six ans (et même parfois sept) en sont encore à chantonner leur « jevoussalumari » d’un nouveau genre pour savoir dire combien mon petit-fils d’à peine trois ans veut de cailloux pour lancer dans le ruisseau.

Rédigé par : Catherine Huby | le 20 mars 2014 à 08:03 |

Capture The solution

[Récapitulatif du blogueur.  Ces échanges, partiels, momentanés, confinés à un espace médiatiquement modeste, représentent une heureuse exception. Il est extraordinairement difficile, dans l’éducation nationale, de débattre du moindre point d’organisation ou de méthodologie scolaire en dehors des dialogues de sourds où chaque argument n’est pas jugé en lui-même mais par rapport à sa provenance: ami, ennemi, ami de mes ennemis, ennemi de mes amis…? N’en concluons pas pour autant, selon un cliché convenu et pas toujours innocent, qu’il faut jeter « l’idéologie» à la rivière pour se livrer à une science prétendue impartiale. « L’idéologie», comme la « pensée unique», sont des expressions qui servent à désigner les idées des autres. Et «la» science, surtout dans un domaine aussi complexe que l’éducation, est tout ce qu’on veut sauf unanime et neutre. Mais sur des sujets délimités, dans le cadre de valeurs partagées, au sein d’une même institution et d’une communauté professionnelle s’inscrivant dans sa logique, la confrontation d’arguments rationnels est une nécessité. A travers cette série d’échanges, on voit néanmoins émerger ou réapparaître une réalité aussi embarrassante pour les protagonistes eux-mêmes, qui aimeraient emporter les convictions, que pour les politiques toujours à l’affût, ce qui est bien compréhensible, de la «décision claire et efficace»: le consensus souhaité, rassurant, soulageant, se dérobe sans cesse. Qu’il s’agisse de la lecture – un débat en train de revenir au premier plan – ou comme ici du calcul, la recherche de la bonne façon de faire, rationnellement étayée et loyalement évaluée, reste un chantier à peine ébauché. Et il est fort possible qu’un pluralisme des approches et des pratiques soit la seule solution. Encore faudrait-il que toutes les écoles de pensée en présence acceptent de jouer le jeu de la confrontation méthodique au lieu de se reposer sur la communication, le lobbying et l’argument d’autorité. Ce n’est pas encore le cas. C’est aussi le rôle des médias, grands ou petits, de les y inciter… L.C.]

 The end

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Marathon de Paris et niveau scolaire : tout va bien et tout ne va pas bien

Marathon1Les coureurs ne s’en doutent pas, mais chaque Marathon de Paris porte un questionnement sur le thème, récurrent en éducation,  de la « baisse du niveau ». Le spectacle fascinant et interminable des coureurs concentrés sur leur objectif, leur extrême diversité de corps, de styles, d’âges, d’allures et de performances est propice à faire revenir à l’esprit une image employée par le chercheur en éducation Vincent Troger à propos de cette interrogation permanente sur le niveau.

Si courir le  marathon était une épreuve scolaire comparable au baccalauréat, que se passerait-il ? On constaterait d’abord un phénomène similaire à la « massification » de l’enseignement : le nombre des participants à une telle épreuve, naguère réservée à une petite élite, a explosé. Le premier marathon de Paris, en 1896, réunissait 191 participants ! Ils étaient environ 50 000 à y participer le dimanche 6 avril.

Champions, moyens et reçus-de-justesse

Comme le nombre de bacheliers, celui des sportifs qui terminent l’épreuve et peuvent donc se voir décerner le qualificatif de marathonien est désormais sans commune mesure avec ce qui existait « avant ». On peut donc en conclure, non seulement que les pratiquants de la matière « course à pied » sont plus nombreux mais aussi que, parmi eux, ceux qui atteignent le « niveau marathon » sont spectaculairement en hausse. Bref, c’est évident : le niveau monte !

Mais il ne monte pas de manière homogène. Et les marathoniens qui terminent l’épreuve ne sont pas tous, loin s’en faut au même niveau. Il y a le vainqueur, cette année l’Ethiopien Kenenisa Bekele en 2h 05 minutes et 2 secondes, et derrière lui, une cohorte de coureurs quasi professionnels. Puis tous les excellents coureurs qui, foulée aérienne jusqu’au bout, passent la ligne d’arrivée en moins de 3 heures. Ceux-là sont l’équivalent des bacs avec mention.

Marathon2Derrière eux, se presse la foule  des « moyens », dont il ne faut pas sous-estimer l’effort. Et enfin, longtemps après les champions, tous ceux qui terminent l’épreuve péniblement, parfois clopin-clopant et à la limite de l’abandon. Ce sont les reçus-de-justesse. Si le marathon était scolaire, l’élite de la course à pied ne manquerait de déplorer la baisse du niveau : regardez comme on brade le beau titre de marathonien ! Bref, c’est évident : le niveau baisse !

Les ravis et les aigris

Le niveau, donc, baisse et monte à la fois. Les ravis et les aigris ont raison. Notre système éducatif de masse a fait monter le niveau des connaissances dans l’ensemble de la population. De plus en plus de gens, scolarisés de plus en plus longtemps, savent de plus en plus de choses dans des domaines de plus en plus divers.

En même temps, à chaque palier important de ce système – à l’entrée en sixième, à l’entrée au lycée, au baccalauréat, à l’université – on trouve des gens qui n’ont « pas le niveau », qui n’auraient pas été là « avant » car ils n’auraient pas obtenu leur droit d’entrée, c’est-à-dire la certification correspondante sous forme de notation ou de diplôme. Cette inclusion d’éléments défaillants au regard des normes d’antan est en quelque sorte le prix de la massification : il n’annule pas la montée du niveau moyen d’instruction de la population.

Alors, tout va bien ? Oui et non. Oui car, quoi qu’en disent les interprétations les plus « déclinistes » des enquêtes PISA, celles-ci depuis leur origine (première parution en 2000) ne montrent pas de décrochage majeur entre la France et les pays développés raisonnablement comparables.

Marathon3Hormis les quelques  « très bons » et  « très mauvais », les différences de score  – au dessus ou en dessous de 500 – se situent dans un mouchoir de poche. Et les variations de rang constatées n’ont qu’une signification statistique fragile, pour ne pas dire souvent inexistante. Comme le remarque le chercheur Julien Grenet (CNRS – Ecole d’Economie de Paris), « l’habitude médiatique consistant à assigner une position déterminée à un pays dans le classement PISA constitue donc une absurdité du point de vue statistique ».

Les dangers du manque d’ambition

Et non, tout ne va pas bien. D’abord parce que PISA témoigne malgré tout d’une lente érosion dont personne ne peut se satisfaire. Ensuite parce que l’éducation est un domaine où, pour les individus comme pour les sociétés, le manque d’ambition est souvent prédicteur de l’échec. Et pour un pays, l’ambition de voir son système éducatif cité en exemple par les enquêtes internationales est à la fois légitime et mobilisatrice. Même si ce ne doit pas être à n’importe quel prix, notamment à celui de la souffrance des élèves ou de l’abandon de ses valeurs…

D’autre part, le fait d’être dans la moyenne légèrement basse des pays développés n’est pas incompatible avec des  baisses des performances dans des domaines précis, à des niveaux précis du système scolaire. Ainsi, depuis, l’enquête menée par Danièle Manesse et Danièle Cogis et exposée dans leur livre « Orthographe, à qui la faute ? » (ESF, 2007), la réalité d’une baisse de niveau en orthographe, que laissaient deviner les déplorations des professeurs, est pleinement attestée : une cinquième de 2006 était au niveau d’un CM2 de 1987. Et aucun signe d’amélioration n’a été aperçu depuis en ce domaine.

Marathon5En calcul, certains signes alarmants se sont aussi accumulés. Notamment une enquête de la DEPP (Ministère de l’éducation – Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance), menée par Thierry Rocher et publiée en décembre 2008 qui faisait état d’une inquiétante baisse des performances. Pour le chercheur Rémi Brissiaud, cette étude témoigne d’un « effondrement » des performances des élèves de CM2 entre 1987 et 1999. Selon lui, c’est l’équivalent de plus d’une année d’apprentissage que les élèves de CM2 ont perdu dans cette même période.

« Nous avions raison! »

« Une chose est incontestable, le niveau a baissé en lecture, écriture, calcul », estimait pour sa part en 2008 la sociologue de l’éducation Marie Duru-Bellat. D’autres indices inquiétants avaient été repérés auparavant. Ainsi, aux évaluations de 2005 à l’entrée en sixième, un taux d’échec de 60 % avait été enregistré à la question de calcul mental «combien valent 60 divisés par 4 ? ».

Le fait qu’un chercheur proche des mouvements pédagogiques, comme Rémi Brissiaud, puisse employer pour l’apprentissage du calcul le mot « effondrement » (pour lui antérieur à Pisa) témoigne, sept ans après l’enquête de Danièle Manesse et Danièle Gogis sur l’orthographe, d’une évolution importante dans l’appréciation de la question du « niveau ». Dans le débat, permanent, sur l’éducation, les « déclinistes » ont incontestablement marqué des points ces dernières années.

Marathon7Plus précisément, la problématique de la « baisse du niveau » et le fait soit d’admettre sa réalité soit de l’envisager comme une hypothèse recevable a désormais droit de cité là où elle était auparavant associée à des choix conservateurs ou « réactionnaires ». A bien des égards, les « déclinistes » – dont certains ont martelé leur message de manière outrancière pendant des années et sans jamais rien prouver, peuvent s’exclamer aujourd’hui : « vous voyez bien que nous avions raison !»

Outrances éternelles et retour au réel

Ils ne s’en priveront pas. Cependant, leur mode d’expression ne permettait pas de voir dans leurs imprécations autre chose que le phénomène, attesté depuis l’Antiquité, de la déploration par les aînés des défauts des générations montantes. En outre, leur catastrophisme était le plus souvent associé à la  dénonciation virulente de causes fantasmatiques, de « Meirieu »  à la « méthode globale » pour les adversaires du « pédagogisme » ou à « mai 1968 » pour les polémistes de droite.

D’une certaine façon, on assiste aujourd’hui à un début de retour au réel qui passe par l’abandon des simplifications polémiques ou contre-polémiques. Identifier les causes – pédagogiques, didactiques ou autres – des baisses de performances dans telle ou telle matière scolaire et, à partir de là, élaborer les façons d’y remédier va réclamer (sauf énième démission politique devant le peu de rentabilité d’une action sur la durée) beaucoup de patience et de rigueur.

La petite série de billets sur l’enseignement du calcul, commencée sur ce blog, donne un aperçu des difficultés.

C’est là où toute métaphore trouve ses limites. En course à pied, les débats sur la meilleure façon de poser le pied, de s’alimenter pendant l’épreuve ou de s’y préparer les mois précédents sont peut-être tout aussi âpres que nos débats éducatifs. Mais jusqu’à preuve du contraire, le marathon est facultatif.

Luc Cédelle

Enseignement du calcul: des éléments pour un débat (5/6)

not our faultCinquième acte, sur six, de cette aventureuse série de théâtre informatif, bâtie sur le principe du blog inversé, où les commentaires remontent au premier plan pour fournir la matière d’un billet.

Depuis l’acte 4, nous avons aussi sur ce blog traité d’une effarante actualité: celle que constitue encore la journée de retrait de l’école organisée par les « anti-genre ». Entre le théâtre d’avant-garde pour public averti et le spectacle en Eurovision, ce blog a donc de nouveau fait le grand écart. Présentons cela comme un indice de polyvalence réactive.

Depuis l’acte 4, aussi et surtout, la face de l’Education nationale a changé, puisqu’un nouveau ministre, le neuvième en dix-sept ans (soit une durée moyenne approximative de deux ans) vient d’arriver. Souhaitons-lui la bienvenue et ne perdons pas de vue que les principes élémentaires du calcul, dont l’apprentissage est le sujet de ce débat, sont, eux, restés stables.

Les participants, au fil de leur discussion depuis l’acte 1 (auquel il est possible de revenir en cliquant ici), ont abordé, en réussissant à ne pas trop s’écharper, une succession d’épineuses mais incontournables questions, dès lors qu’une refonte des programmes scolaires est mise en chantier.

Ils ont débattu et continuent de le faire sur la différence (ou l’absence de différence) entre l’addition réitérée et la multiplication. Sur l’idée que l’arbre Pisa pourrait cacher la forêt et même un loup dans la forêt. Sur la pratique actuelle du comptage en maternelle à laquelle Rémi Brissiaud prête des effets délétères.

Sur… Impossible d’être exhaustif. D’ailleurs, le compte rendu, ici mis en scène, de ces échanges n’est pas terminé. On peut choisir de les lire comme cela se présente ou dans le bon ordre, partiellement ou en entier.

Dans tous les cas, on apprendra quelque chose et dans tous les cas aussi, ce ne sera pas forcément facile à suivre. Mais la difficulté est stimulante, et les personnages sont toujours là, toujours aussi magnifiquement passionnés. Et pas du tout inventés.

Luc Cédelle

 

 Acte 5

Où réapparaît le fantôme des «maths modernes», dont les conséquences à long terme sont diversement appréciées

Walking dead

Acte 5. Scène 1. Michel Delord à tous

[Rappel du blogueur : Michel Delord ancien professeur de mathématiques dans le secondaire, a été à l’origine de la création du GRIP (Groupe de réflexion interdisciplinaire sur les programmes), dont il n’est plus membre. Présentation plus complète dans l’Acte 1.  L.C. ]

[Note du blogueur: le commentaire original a été, ci-dessous, légèrement remanié afin de mieux le situer dans la continuité des échanges précédents]

Le fait que le primaire soit en général, et en particulier maintenant, le niveau le plus important en divers sens ne donne aucun droit particulier aux enseignants de ce niveau si ce n’est une interdiction de se tromper beaucoup plus essentielle qu’aux autres niveaux car si un élève a réussi son primaire – je ne parle pas de l’actuel – il sera beaucoup moins sensible aux erreurs de ses enseignants du secondaire. Et cette interdiction de se tromper est beaucoup plus difficile à réaliser car elle porte sur « les fondements de toutes les matières ».

Lorsque j’ai écrit, en critiquant une non-réponse du GRIP à l’un des mes textes :
[« Et l’on ne peut invoquer comme raison de cette non-réponse une difficulté théorique du texte puisque (…)   il ne parle que de nombre ordinal, nombre cardinal, comptage et calcul, adjectif numéral, adjectif cardinal et ceci à un niveau qui ne dépasse pas, en gros, le niveau d’entrée à l’EN en 1960. »], j’ai un peu minimisé l’objet de mon propos en le présentant seulement comme une réprobation devant cette non-réponse.

En effet, un de mes soucis essentiels lorsque j’écris sur les mathématiques (et aussi sur les autres matières, comme la lecture/ écriture, mais j’emploie l’argument des maths car il est plus parlant), est, si je peux m’exprimer ainsi, d’être neuro-Cédelle compatible, ceci certes afin que mon journaliste préféré devienne plus mathématique-compatible mais surtout parce que j’ai une tendance innée et /ou acquise (même si je ne me présente jamais comme praticien, j’ai 35 ans de métier dans les pattes) à essayer faire que le plus grand nombre comprenne sans baisser le niveau.

Et vous reconnaîtrez avec moi que le Cédelle-challenge est un beau challenge.
Et je souhaiterais que tout le monde fasse la même chose pour toutes les matières et pour tous les niveaux, que chacun ne présente donc pas son point de vue comme particulier donc a priori incompréhensible par certains mais pense ses interventions – ça fait délicatement vieillot – comme un point de vue d’honnête homme.

MD, encyclopédiste tendance Père Peinard

Le texte supra est un hommage à Luc Cédelle car il reconnaît ce que ne reconnaissent pas d’autres journalistes, c-a-d qu’ils ont quelques problèmes avec les mathématiques même élémentaires.

Rédigé par : Michel Delord | le 08 mars 2014 à 13:17

 

Acte 5. Scène 2. Michel Delord à tous

Introduction aux « Brèves de compteur »

Le début de ce débat avec Rémi Brissiaud me montre une chose – qui n’est pas une grande découverte scientifique -, c’est qu’il y a très peu de « faits objectifs » et que la description que l’on en fait est plus que très souvent dépendante de la problématique que l’on a.

Et les descriptions des faits sont d’autant plus différentes que les problématiques sont elles-mêmes différentes. Tout ça pour dire qu’il me semble impossible de faire dans un délai très bref une réponse sensée et mesurée à certaines affirmations/positions de Rémi Brissiaud car – même si nous pouvons débattre car nous avons au moins deux points d’accord : nous faisons un diagnostic qui dit que la « baisse de niveau est ancienne » et met au centre la question des contenus enseignés – , nous avons effectivement des différences globales de problématiques.

J’en prends comme exemple la position de Rémi Brissiaud sur les réformes de 1970 : il faut bien dire que même s’il ne reprend pas toutes les positions des maths modernes – par exemple il ne refuse pas de définir la multiplication comme addition répétée et ceci était une position centrale des maths modernes, il se présente comme « héritier des réformes de 1970″[1].  Et, quel que soit ce qu’il met sous cette appréciation, même en admettant que j’ai peut-être pris cette déclaration trop à la lettre, sa position suffit pour affirmer que nous avons des conceptions fondamentalement différentes puisque je considère pour ma part – c’est à développer certes – la réforme des maths modernes en primaire non seulement comme l’élément déterminant de la dégradation de l’enseignement des mathématiques dans tout le cursus mais aussi comme une des causes majeures de la dégradation de l’enseignement dans toutes les matières et à tous niveaux.

Nous avons donc des différences fondamentales d’appréciation et je ne pourrai pas répondre dans un délai très bref et de manière satisfaisante à la globalité et aux grands axes de ses positions et notamment à ses commentaires sur mon texte «vaccinatoire» sur PISA.

Et je comprends par là-même que Rémi Brissiaud lui-même n’ait pas répondu, de son coté, à mon argument présenté dans mon texte sur PISA[2] qui explique que le niveau en calcul ne pouvait que baisser avec la réforme des maths modernes. Or ma position est sur ce point antagonique avec la sienne puisqu’il affirme de nombreuses fois que le niveau des élèves en calcul n’a pas baissé de 1970 à 1986. Et cette question n’est pas secondaire : il est bien évident que selon la réponse donnée, on va arriver à des conclusions différentes sur l’analyse des anciens et nouveaux programmes et sur les mesures que l’on souhaite pour contrecarrer cette baisse de niveau.

Et comme je l’ai dit plusieurs fois : si l’on considère que la baisse ne vient que « du passage de la droite au pouvoir » – ce qui n’est pas la position de Rémi Brissiaud – , on ne comprend pas pourquoi il faudrait une mesure aussi radicale qu’une « refondation ».

Je reviens à ce qui est évoqué au début : il y a donc très peu de faits aisément discutables et sur lesquels on peut répondre – relativement – facilement. Je vais donc concentrer dans l’immédiat mes réponses sur des sujets qui peuvent être traités brièvement en attendant d’avoir publié- ils sont en partie rédigés – des textes plus fondamentaux qui permettent d’intégrer ce que j’affirme dans une problématique qui permet de mieux le comprendre et surtout d’éviter les malentendus.

J’ai numéroté ces interventions sous le nom générique de « Brèves de compteur ». La brevedecompteur-01 sera consacrée à la comptine numérique et la 02 à l’addition répétée.

Ce processus de discussion peut paraitre un peu long mais si l’on considère comme Rémi Brissiaud que « ça déconne fondamentalement » depuis 28 ans, et comme moi depuis 44 ans, ça n’est pas très grave de prendre son temps pour ne pas dire de trop grosses bêtises.

Michel Delord

[1] Par exemple dans le Chapitre  » Débattre en héritiers de la réforme de 1970″ du texte « Calcul et résolution de problèmes : le débat avance  » du 29/06/2006
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/pages/contribs_brissiaud3.aspx

[2] « Et si Rémi Brissiaud sous-estimait qualitativement la baisse de niveau en calcul? »
in Vaccination contre le PISA-choc : http://micheldelord.info/pisa-choc.pdf

Rédigé par : Michel Delord | le 15 mars 2014 à 17:41 |

 

Acte 5. Scène 3. Rémi Brissaud à Catherine Huby

[Rappel du blogueur: Rémi Brissiaud est chercheur en psychologie cognitive au laboratoire Paragraphe à l’université de Paris 8 et auteur de manuels. Catherine Huby, maîtresse d’école dans la Drôme, est membre du GRIP (Groupe de réflexion interdisciplinaire sur les programmes).]

À Catherine Huby,

Je commencerai en confirmant le propos de Luc Cédelle : de mon point de vue, cette conversation ne prend pas du tout un ton déplaisant et me semble même très utile afin de mieux comprendre nos positions respectives qui, comme vous le notez, ne sont pas sans recoupements.

En fait, on se comprend mieux quand les mots utilisés renvoient à des notions communes. Or, il y a un mot dont l’usage est source de malentendus : c’est le mot « calcul ». Il est vraisemblablement à l’origine du malentendu que vous évoquez dans votre commentaire, celui avec vos collègues de GS [grande section] et différents formateurs. Pour essayer de préciser la signification du mot « calcul », je me référerai à une étude ancienne dans laquelle Descoeudres (1921) a étudié la capacité des enfants à montrer autant de doigts qu’il y a d’objets dans une collection donnée. Elle fait une description détaillée du comportement d’un enfant à la suite de cette épreuve :

« Un jour, j’avais commencé la série des tests de calcul avec un petit garçon intelligent, de quatre ans quatre mois ; le lendemain, il vint chez moi pour les terminer ; entre-temps, pour éviter la fatigue, il jouait avec des plots. Spontanément, il se mit à employer le procédé des doigts pour dénombrer ses plots ; comme langage, il ne possédait que les noms des deux premiers nombres.
G. a trois plots devant lui et raconte, en montrant trois doigts : “Ça c’est plus que deux, c’est comme ça” ;… »

À son âge, l’enfant G. ne connaît pas encore le mot trois (cette étude est ancienne et on peut penser que ce petit garçon « intelligent » n’avait eu que peu d’occasions de dialoguer avec autrui à propos de nombres), mais il importe de remarquer qu’il met spontanément en œuvre une stratégie de décomposition où le nombre trois est décrit sous la forme : deux et un. En effet, ayant 3 objets sous les yeux, G. dit : « Ça, c’est plus que deux ». Il reconnaît donc deux dans la totalité des plots : il reconnaît 2 dans 3. L’enfant exprime ensuite le nombre total : il dit « c’est comme ça » en montrant trois doigts. Ce faisant, il a levé un doigt de plus que s’il en avait montré deux, il a donc exprimé trois à l’aide de la décomposition : deux et encore un.

Ainsi la progression de G. est celle qu’Henri Canac [Note du blogueur: pédagogue des années 1940 à 1970, que l’on peut découvrir notamment ici] recommandait : « construire (définir, poser) le nouveau nombre par adjonction de l’unité au nombre précédent ». J’essaie de diffuser l’idée que ce type de comportement relève déjà du calcul. La stratégie utilisée par G. est très différente d’une stratégie de comptage-numérotage, quand l’enfant pense : « le un, le deux, le trois ». Et cet exemple montre qu’il est possible qu’un enfant entre d’emblée dans le calcul. Mon article le plus cité dans la littérature scientifique internationale est une monographie d’un enfant qui progresse ainsi, construisant les nombres grâce à des collections-témoins de doigts et en mettant en œuvre des stratégies de décomposition-recomposition (calcul). Dès son premier comptage, cet enfant savait que chacun des mots qu’il prononçait exprimait le résultat de l’ajout d’une nouvelle unité : 1, 2 (conçu comme1 + 1), 3 (conçu comme 2 + 1), 4 (conçu comme 3 + 1), etc. D’emblée, son comptage a été un comptage-dénombrement et non un comptage-numérotage (le un, le deux, le trois, le quatre…).

Or, depuis 1986, le ministère demande aux PE [professeurs des écoles] de maternelle d’enseigner le comptage-numérotage, en insistant sur la correspondance terme à terme 1 mot — 1 objet (une psychologue états-unienne, Rochel Gelman, parlait vers 1980, du «principe de correspondance»). Il faudrait que l’injonction d’enseigner le comptage ainsi, cesse avec les nouveaux programmes, mais c’est loin d’être gagné.

Quelle est l’origine du différend avec vos collègues et les formateurs que vous évoquez ? On peut supposer que le mot « calcul » les effraie. Ils ne savent pas qu’un comptage-dénombrement est un comptage dont les enfants maîtrisent le calcul sous-jacent (l’itération + 1), ils ne savent pas qu’il est possible de dire qu’un enfant comme G. calcule alors qu’il ne connaît pas encore le mot « trois ». Pour eux, une pédagogie du calcul à l’école maternelle renvoie nécessairement à ce qui se passait dans les GS [grandes sections de maternelle] avant 1970.

Vers 1977, j’ai interviewé des maîtresses de GS qui avaient enseigné avant 1970 en milieu urbain. Le plus souvent, elles commençaient par évoquer le nombre de leurs élèves : souvent plus de 35. Avec autant d’élèves, la discipline était leur première préoccupation : il fallait que chaque élève soit derrière son pupitre pour qu’il n’y en ait pas partout. De même, le silence était de mise et, donc, la pédagogie constamment collective. Dans les faits, leur programmation consistait à répartir le programme du premier trimestre du CP (les 10 premiers nombres, environ) sur l’ensemble de l’année de G.S. Et ils utilisaient la même pédagogie qu’au CP.

Souvent, les enseignants se plaignaient de la phase finale de l’activité, celle où les enfants devaient recopier « au propre », sur leurs cahiers, ce qu’il convenait que les parents voient (le cahier était le « petit théâtre » du travail scolaire). Pour les enfants les plus fragiles, souvent les plus jeunes, les manipulations collectives viraient au pur rituel et la copie sur le cahier, la même pour tous, les faisait souffrir, parfois au sens propre. Je suis persuadé que cette forme d’élémentarisation de la GS de maternelle, différente de celle qu’on connaît aujourd’hui, a grandement participé au rejet de ce modèle et à son remplacement, en 1970, par un autre censé être plus moderne.

Vous savez que de mon point de vue, il n’est évidemment pas question de prôner un retour à une telle pédagogie. Et cela pour des raisons relevant de l’efficience de l’apprentissage, mais pas seulement. En effet, je défends l’idée d’une certaine rupture entre les méthodes de travail de la GS et celle du CP parce que la première classe relève de la maternelle alors que la seconde correspond à l’entrée à la « grande école ». Même si la maternelle n’est pas une « petite école », il s’agit là d’un passage qui a une valeur initiatique et qui doit correspondre à des changements dans les divers aspects de l’activité scolaire (la situation n’est pas exactement la même en cas de classe unique).

La position générale précédente n’est tenable que parce qu’il est possible de favoriser le calcul depuis la PS [petite section] jusqu’à la GS sans adopter la pédagogie du CP (cf., en autres, les « albums à calculer » que nous avons mis au point avec André Ouzoulias). Cela fait 25 ans que nous avons commencé à défendre cette idée et à élaborer des outils permettant de la mettre en œuvre. Peut-être que pour la première fois, les futurs programmes accepteront que les enseignants envisagent la possibilité d’une telle entrée dans le calcul dans le domaine des 10 premiers nombres plutôt que d’apprendre à lire et écrire les nombres jusqu’à 30 à l’aide d’une file numérotée (dans la réponse à Michel Delord qui suit, je montre qu’il y a une sorte d’incompatibilité entre les deux points de vue).

Bien cordialement,

Rédigé par : Rémi Brissiaud | le 16 mars 2014 à 12:12 |

Acte 5. Scène 4. Michel Delord à tous

Brève de compteur N° 1 – Sur la comptine numérique

Je résume la thèse de Rémi Brissiaud – c’est un résumé avec tous les défauts d’un résumé mais je suis prêt à en discuter si RB considère que je trahis sa pensée de manière fondamentale ou même secondaire- :
(a) Il n’y a pas de baisse de niveau en calcul entre 1970 et 1986
(b) Il y a une cause *unique* de la baisse de niveau en calcul des élèves constatée par la DEPP entre 1987 et 1999
(c) Cette cause unique correspond au « basculement de 1986» qui correspond lui-même à la publication des Instructions Officielles de 1986, et comme preuve Rémi Brissiaud en cite le passage suivant : «Progressivement, l’enfant découvre et construit le nombre. Il apprend et récite la comptine numérique ».

Tous ces points sont à mon avis discutables et la remise en cause d’un de ces points fragilise tous les autres : ce n’est pas un défaut, c’est la caractéristique d’une véritable problématique vertébrée qui vaut 1000 fois mieux qu’une position « politique » dont l’imprécision calculée a pour fonction essentielle d’en empêcher toute critique.
Ce que je voudrais simplement montrer, c’est que placer en 1986 un basculement que l’on décrit comme directement lié à la circulaire sur les maternelles de 1986 citée sous la forme suivante : «Progressivement, l’enfant découvre et construit le nombre. Il apprend et récite la comptine numérique » est une erreur.

Suite : http://micheldelord.info/bloglc-bdc02.pdf

Bonne lecture
MD

Rédigé par : Michel Delord | le 17 mars 2014 à 01:18 |

Acte 5. Scène 5. Rémi Brissaud à Michel Delord

Michel Delord, je commenterai votre « brève de compteur » en partant du résumé en 3 points que vous faites de ma thèse mais je les examinerai dans le désordre.

Tout d’abord, ce résumé trahit ma pensée concernant le second point : je n’ai pas dit (sauf erreur d’expression de ma part) qu’il y aurait une cause unique à l’effondrement des performances entre 1987 et 1999, j’ai seulement dit que lorsqu’on analysait les différents facteurs susceptibles d’expliquer cette baisse, un seul émerge. Et pourtant, j’en ai examiné bien d’autres : le nombre d’heures de sommeil des enfants, le milieu social d’origine, le temps de formation initiale et continue, etc. Libre à vous d’en faire émerger un autre qui expliquerait la baisse pendant cette période, moi, je n’en ai pas trouvé d’autre de convaincant. Personne jusqu’à présent n’a écrit pour en présenter un autre qui le serait.

Concernant votre troisième point, vous dites que je confondrais la récitation de la comptine numérique avec l’apprentissage du comptage d’objets. Ouvrez le petit livre « Apprendre à calculer à l’école » et lisez le pavé grisé en haut de la page 17. Son titre, en gras, est : «L’apprentissage de la comptine n’est pas source de difficulté quand il reste purement verbal, c’est le comptage d’objets qui est susceptible de l’être».

Vous dites que dans Ermel 77, avant le basculement de 1986, donc, il était déjà recommandé d’enseigner la comptine orale en début d’année de CP : pas de problème, il n’y a pas d’incohérence avec ce qui vient d’être dit. Par ailleurs, j’étais déjà formateur à l’époque et je peux vous assurez que très peu d’instituteurs utilisaient Ermel parce qu’environ 8 instituteurs sur 10 utilisaient soit le Eiler (Maths et Calcul), soit son clone, le Thévenet, et que, dans ces méthodes, la leçon sur les nombres 1, 2 et 3 était située début novembre avant que chaque nombre et ses décompositions fasse l’objet d’une leçon : c’est l’ancienne progression qui prévalait.

Vous dites qu’il serait incohérent que la circulaire de 1986 soit à l’origine de ce que j’ai appelé un basculement parce qu’elle recommandait seulement l’apprentissage de la comptine verbale. Non, il n’y a pas d’incohérence parce qu’à l’époque, dans les centres de formation, on formait les normaliens avec les documents de travail de l’INRP, ceux qui allaient donner Ermel GS en 1990 et je peux vous assurer que c’était bien le comptage d’objets qui était décrit dans ces documents, ainsi que l’usage de la file numérotée. Très vite, dès « Objectif Calcul 1985 », en fait, c’est ce qu’on a trouvé dans les fichiers utilisés par les maîtres.
Acceptez que quelqu’un dont c’était le métier depuis 1977, qui allait plusieurs fois dans les classes chaque semaine, connaisse mieux le contexte historique correspondant à cette période que vous.

Il n’y a que concernant le premier point que ma position est éventuellement plus faible. Y a-t-il eu une baisse de niveau entre 1970 et 1986 ? Je vous rappelle l’argument que j’emploie pour répondre négativement : en 1987, l’addition 19786 + 215 +3291 avait un taux de réussite de 94%. Si les élèves faisaient mieux en 1970, c’était nécessairement de très peu : il y avait 96% de réussite, peut-être, c’est-à-dire une différence vraisemblablement non significative. De même, la multiplication 247 x 36 avait 84% de réussite. Là encore, ça me semble très élevé et il est difficilement imaginable qu’on faisait beaucoup mieux auparavant.
Je vous l’accorde : alors qu’on a une preuve directe de l’effondrement entre 1987 et 1999, on n’a que des preuves indirectes du fait que des compétences de base telles que l’addition et la multiplication en colonnes sont restées relativement stables. Mais enfin, l’important serait qu’on retrouve les performances de 1987 : on en est si éloignés…

Et concernant l’affirmation selon laquelle « la remise en cause d’un de ces (trois) points fragilise tous les autres », il est difficile de raisonner comme vous le faites. En effet, je le répète : qu’on fasse appel aux résultats d’enquêtes en sociologie de l’éducation, à l’histoire des discours et des pratiques scolaires, à la psychologie des apprentissages numériques, à la psychologie clinique, à la psychologie interculturelle, dans tous les cas, les résultats disponibles concordent avec la thèse d’un effet délétère à long terme de l’enseignement de la numérotation. Mettez-vous à discuter cet ensemble de résultats et, là, vous aurez une chance de fragiliser la démonstration. Dans l’état, je ne pense pas que ce soit le cas.

Rédigé par : Rémi Brissiaud | le 18 mars 2014 à 09:08 |

Acte 5. Scène 6. Michel Delord à tous

Brève de compteur N° 2 – La multiplication : une addition répétée ?
Première partie : La multiplication avant et après 1970

Depuis les années 1850 jusqu’en 1970, on a défini la multiplication à l’école primaire comme addition répétée. On peut montrer facilement que cette définition, et pas seulement à l’école, était beaucoup plus ancienne puisque voici ce qu’en disait au XVIIIème siècle et sans remonter plus haut, l’Encyclopédie :

[ « MULTIPLICATION, s. f. en Arithmétique, c’est une opération par laquelle on prend un nombre autant de sois qu’il est marqué par un autre, afin de trouver un résultat que l’on appelle produit. Si l’on demandoit, par exemple, la somme de 329 liv. prises 58 sois; l’opération par laquelle on a coûtume, en Arithmetique, de déterminer cette somme, est appellée multiplication. Le nombre 329, que l’on propose de multiplier, se nomme multiplicande; & le nombre 58, par lequel on doit multiplier, est appellé multiplicateur; & enfin on a donné le nom de produit an nombre 19082, qui est le résultat de cette opération »
http://artflsrv02.uchicago.edu/cgi-bin/philologic/getobject.pl?c.9:2244.encyclopedie0513]

Les maths modernes, pour différentes raisons toutes aussi fausses les unes que les autres et notamment parce que cet enseignement était considéré comme « un obstacle à la compréhension de la commutativité de la multiplication » – d’où l’importance du thème-, refusaient cette définition de la multiplication.

La suite : http://micheldelord.info/bloglc-bdc01.pdf
Bonne lecture
MD

Rédigé par : Michel Delord | le 17 mars 2014 à 08:04 |

 

Rampe4[Récapitulatif du blogueur. Dans cette nouvelle tranche de discussion, Rémi Brissaud précise sa position qui établit une différence entre le «comptage dénombrement», qu’il recommande, et le «comptage numérotage», qu’il déconseille. Michel Delord le contredit et leurs divergences s’affirment, même si chacun d’eux s’accorde par ailleurs à définir la multiplication comme addition réitérée. La thèse de Rémi Brissiaud est celle d’un effondrement des compétences de base entre 1987 et 1999, précédée d’une quasi stabilité entre 1970, date de la réforme des maths modernes et 1986, date de son abandon au profit de nouvelles directives. Sans se poser en inconditionnel de la réforme de 1970, ni s’attarder sur ses autres aspects, il  dénonce un basculement, à partir de 1986, vers le comptage par numérotation des objets et l’usage de files numérotées. Autant d’approches qu’il juge inspirées de l’enseignement aux Etats-Unis et qui selon lui font obstacle à la véritable perception des nombres et des «calculs sous-jacents» qu’ils recèlent, en les réduisant à une succession de noms permettant d’effectuer un numérotage. Invoquant jusqu’à la définition de la multiplication par l’Encyclopédie, mais aussi renvoyant aux nombreux textes accessibles sur son site, Michel Delord, lui, attribue la baisse de niveau à la réforme de 1970, qui a récusé cette ancienne définition et dont les conséquences sont selon lui sensibles jusqu’à aujourd’hui. Il va jusqu’à considérer que c’est là «une des causes majeures de la dégradation de l’enseignement dans toutes les matières et à tous niveaux». Reprise après l’entracte… Pop corn? Eskimo? L.C.]

A suivre..

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La « Journée de retrait de l’école » accuse publiquement une enseignante de maternelle

Capture d’écran de la vidéo JRE accusant une enseignante

« La maîtresse a demandé au petit garçon de toucher les parties génitales de la petite fille »

La prochaine « Journée de retrait de l’école » (JRE), organisée au niveau national par Farida Belghoul pour lutter contre « l’abomination » que constitue selon elle et ses partisans la soi-disant « théorie du genre », aura lieu le lundi 31 mars.

Depuis la précédente journée en février, le mouvement (toujours relayé par celui d’Alain Soral, Egalité et Réconciliation), s’est organisé, a multiplié les contacts, les réunions, et les vidéos de propagande diffusées sur Internet. L’alliance avec les catholiques intégristes traditionalistes proches de l’extrême  droite, notamment ceux de Civitas, s’est affirmée. Elle est désormais clairement assumée des deux côtés. Le mouvement s’est également radicalisé, à travers les propos répétés de son leader Farida Belghoul, appelant littéralement et au premier degré à lutter contre « le diable » et proclamant qu’elle était pour cela prête à « payer le prix du sang ».

Stratégie de durcissement

La radicalisation ne s’arrête pas là. Elle se manifeste aussi à travers les méthodes utilisées dans le cadre de la préparation de cette nouvelle journée de retrait. Une vidéo récemment mise en ligne en témoigne. C’est une mise en accusation publique d’une enseignante d’une école maternelle de Joué-les-Tours, l’école de La Blotterie, par une militante locale des JRE se présentant à visage découvert et sous son nom, Dalila Hassan.

Le contenu de cette vidéo est hallucinant et provoquera sans doute de très vives et nombreuses réactions dans le monde enseignant et au-delà, sans exclure bien sûr les suites judiciaires qui pourraient lui être données. Les JRE ne peuvent avoir sous-estimé  ces réactions prévisibles et l’on peut donc considérer que cette mise en accusation publique s’inscrit dans une stratégie classique d’agitation, visant à déclencher un processus de provocation/répression en obtenant des martyrs de la cause.

Après le logo de la Journée de Retrait de l’Ecole (JRE), offrant une ressemblance voulue avec celui de la Manif pour tous, la vidéo commence par un écran noir sur lequel s’affiche le titre :  « Ecole Maternelle. Attentat à la pudeur à Joué-les-Tours ».

Suit un récit selon lequel un petit garçon de parents tchétchènes, scolarisé dans cette école, y aurait été victime de la part de sa maîtresse d’une séance  de déshabillage et d’attouchements organisée avec une petite fille. Le récit, sur le mode indirect, rapporte les propos de la maman du petit garçon, laquelle aurait été alertée par le comportement bizarre de son enfant. La militante indique dans son propos liminaire que Farida Belghoul a été alertée et devait se rendre à Joué les tours pour prendre en charge ce problème.

«La maîtresse avait baissé son pantalon…»

Tout au long de la vidéo, les propos rapportés de la maman sont présentés comme d’une évidente et criante vérité, et ceux de la directrice de l’école comme relevant de la pure dénégation mensongère. D’une durée de 10 minutes, la vidéo mérite d’être regardée intégralement afin de prendre la mesure du phénomène politique auquel l’école publique risque d’être durablement confrontée et du style d’action adopté par les JRE. En voici, décryptés, les extraits les plus significatifs. C’est la militante locale des JRE qui parle, s’aidant de ses notes réparties devant elle.

« Il a expliqué que la maîtresse avait baissé son pantalon, qu’il y avait aussi(…) une petite fille à qui on avait baissé le pantalon et (…) que la maîtresse a demandé à la petite fille de toucher ses parties génitales et au petit garçon de toucher les parties génitales de la petite fille et en suite de se faire des bisous, chose qu’ils ont faite. Et donc, le petit garçon a été très très très perturbé par tout ça à tel point que dans les jours suivants, il y avait un carnaval, la maman a porté le déguisement de son fils à l’école, l’enfant ne s’est même pas déguisé parce qu’il a refusé que la maîtresse lui enfile son déguisement (…). »

La militante poursuit en indiquant que le vendredi 28 mars, « pendant que Farida Belghoul était en chemin », une entrevue a eu lieu à l’école avec la directrice, une traductrice et « une autre membre du comité » [des  JRE, ndlr].  « Nous  avons été surpris, dit-elle, de ne pas voir la présence de la maîtresse concernée, il nous a été rétorqué qu’elle était en stage syndical » [mimique de déploration accablée, ndlr].

Dernier écran vidéo: «Vaincre ou mourir»

Elle indique  que la maman a  fait à cette occasion un « récit strictement identique à la première version » et que  « la directrice a rétorqué à cela que la maîtresse est ir-ré-pro-cha-ble, qu’elle ne pouvait pas avoir de tels agissements, que c’était impossible ».

« A aucun moment, la directrice n’a demandé comment l’enfant allait », insiste la militante des JRE, qui explique  ensuite, toujours sur le ton de l’accablement, que la directrice aurait à un moment de l’entretien évoqué la possibilité que l’enfant ait dit ce qu’on attendait de lui, qu’il aurait été poussé à ce genre de récit.

« La maman a tout de suite réagi. Elle a été  formidable en disant que non, c’était impossible puisque, elle est d’origine tchétchène  [ici un mot difficilement identifiable, ndlr]  (…) pudeur et ils ne sont pas amenés à parler de sexualité ou de ce genre de choses devant les enfants, et d’ailleurs l’enfant était très très gêné » (…).

La maman «  s’est vraiment bien défendue, elle ne s’est pas laissé intimider (…) J’aimerais qu’on me dise quel est l’intérêt d’une maman de se mettre en (…) confrontation avec un établissement scolaire alors que dans cette histoire elle a plus à perdre qu’à gagner. Donc je m’interroge : pourquoi, si ce n’est la vérité ? » La militante précise que la police était présente devant l’établissement durant cette entrevue, puis conclut son propos en indiquant que « finalement Farida Belghoul nous a rejoints devant l’établissement. Nous étions une centaine de personnes présentes sur place. »

La vidéo se termine par l’affichage du slogan suivant : « Vaincre ou mourir ».

Luc Cédelle

P.S. C’est par un tweet émanant dimanche matin du forum Néoprofs que j’ai été alerté sur cette actualité.

Enseignement du calcul: des éléments pour un débat (2/6)

Green mask2

Résumé du 1er acte. Mais notons que le résumé ne dispense pas de revenir en arrière pour le lire in extenso…

La discussion, qui s’est spontanément engagée le mois dernier dans la partie commentaires de ce blog, porte sur l’enseignement du calcul.  Plus précisément sur les premiers apprentissages. Autrement dit les «fondamentaux» dont les politiques se gargarisent depuis 30 ans sans jamais se donner la peine de savoir de quoi ils parlent.

D’un côté, plusieurs membres ou proches d’un groupe aux origines violemment «antipédago» (étiquette qu’une majorité d’entre eux récuse aujourd’hui) mais engagés dans une expérimentation et dans des réflexions poussées sur la question des programmes scolaires. De l’autre, un chercheur en psychologie cognitive habitué du Café pédagogique, des Cahiers pédagogiques et des journées d’études du Snuipp (le syndicat FSU du primaire).

Les échanges sont denses et serrés entre ces gens passionnés, enseignants de terrain ou théoriciens (ou passés de l’un à l’autre, ou situés entre l’un et l’autre), pour qui le Dictionnaire pédagogique de 1887 de Ferdinand Buisson, mais aussi les textes d’Henri Canac, pédagogue des années 1960 sont des références aussi vivantes que les chercheurs d’aujourd’hui.

Il y a quelques années, cette discussion aurait été impensable. Cette fois, toujours au bord du clash, un vrai dialogue s’amorce.  Mais comment est-ce possible? C’est ce que nous allons voir, peut-être…

Acte 2 de cette petite expérience de théâtre informatif  qui, loin des ministres-météores et de leurs plans de communication, tente de concilier la fluidité des réseaux numériques et les problématiques de longue durée.

Luc Cédelle

 

Acte 2

Où l’on se demande si une tradition pédagogique aurait été « occultée »

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Acte 2. Scène 1. Julien Giacomoni à Rémi Brissiaud

[Note du blogueur: Julien Giacomoni, co-secrétaire du GRIP avec Guy Morel, est professeur agrégé de mathématiques en collège. L.C.]

Bonsoir M. Brissiaud,

Je trouve votre message inquiétant. Comme vous avez lu de nombreux ouvrages et les textes de M. Delord, vous n’êtes pas sans connaître les grandeurs, la multiplication comme loi externe sur un type de grandeur, la notion de multiplicande et celle de multiplicateur.

Qu’est-ce que la commutativité pour une loi externe?

Vous avez lu les pédagogues du début du XXème siècle et vous avez remarqué l’extrême progressivité dans les multiplications qui sont demandées aux élèves, en particulier dans le choix du multiplicateur.

Rien à voir avec « 50 * 3 brouzoufs » en début de CP.

Mais je m’aperçois qu’en fait vous parlez des nombres abstraits et de leur commutativité, vous parlez du cours de 5ème de Lebossé-Hemery en réalité. Si vous en faites un préalable à l’enseignement de la multiplication en CP, c’est compliqué en effet.

Etes-vous certain d’être en train de démocratiser quelque chose de cette manière? Je ne le pense pas.

Un lien pour mémoire où tout est dit, ou presque, par Michel Delord que je salue au passage: http://michel.delord.free.fr/banff.pdf

[Note du blogueur : Michel Delord ancien professeur de mathématiques dans le secondaire, a été à l’origine de la création du GRIP, dont il n’est plus membre. Présentation plus complète dans l’Acte 1.  L.C. ]

Vous apprécierez sans doute: « Les vérités ne sont fécondes que si elles sont enchaînées les unes aux autres. Si l’on s’attache seulement à celles dont on attend un résultat immédiat, les anneaux intermédiaires manqueront, et il n’y aura plus de chaîne. » Henri Poincaré

Ce n’est pas un détail que de vouloir mettre en balance les quatre opérations et de les lier à la numération.

Bien cordialement,

Julien Giacomoni, professeur agrégé de mathématiques, secrétaire du GRIP.

Rédigé par : Julien Giacomoni | le 21 février 2014 à 13:31 | |

Acte 2. Scène 2. Michel Delord à tous

Bonsoir,

Ça fait un certain temps que je voulais intervenir sur cette note aussi bien pour son titre que pour le débat qui a suivi sur la place de la pédagogie. Mais je répondrai d’abord à Rémi Brissiaud d’autant plus que j’étais en train, au moment où je mets un nouveau site en place, de préparer des pages consacrées à Rémi Brissiaud, notamment celle-ci sur ses positions et celle-là sur sa bibliographie.

[Rémi Brissiaud, chercheur en psychologie cognitive au laboratoire Paragraphe à l’université de Paris 8 et auteur de manuels. Présentation plus complète dans l’Acte 1.]

En effet, comme je le dis dans l’introduction « Qu’on partage ou non ses positions, on doit reconnaître que Rémi Brissiaud est en France un des acteurs les plus importants de la pédagogie du calcul à l’école élémentaire. »

J’étais donc en train d’écrire quelques textes qui répondaient aux objections de Rémi Brissiaud de 2006 ( Texte du 12 juillet 2006 : http://micheldelord.info/bris-rep-del.pdf ) et répondaient déjà en partie aux dernières objections présentes dans son texte d’aujourd’hui.

Je lui demande donc un petit délai pour une réponse sérieuse*.

Cordialement,

Michel Delord

* Et je pense qu’il m’accordera d’autant plus ce délai que je réalise ce qui est pour le moment sa bibliographie la plus complète sur Internet.

Rédigé par : Michel Delord | le 19 février 2014 à 19:18 |

 

Acte 2. Scène 3. Guy Morel à Rémi Brissiaud

[Note du blogueur: Guy Morel, ancien professeur de lettres, co-secrétaire du GRIP. Présentation plus complète dans l’Acte 1. L.C.]

Cher Monsieur,

Michel Delord étant sorti du bois, ma réponse, en forme de question, se limitera à la partie de votre post qui concerne Buisson – et s’attachera plus particulièrement à la place qui lui est réservée, comme à d’autres pédagogues de l’Instruction publique, dans la formation des maîtres.

Vous dites avoir lu le DP (Dictionnaire pédagogique) en 1977 ; très bien. Vous aviez ainsi quelques années d’avance sur moi qui ne l’ai découvert qu’en 2003 et aussitôt fait découvrir à maints PE [Note du blogueur: Professeurs des écoles] qui n’en avaient jamais entendu parler pendant leur formation.

D’où ma question : ne croyez-vous pas qu’il y a eu une anomalie troublante avec cette occultation de la tradition pédagogique dans la formation des maîtres ?

Le regretté André Ouzoulias reconnaissait, dans le long entretien avec Luc Cédelle publié ici, que cette formation avait pu verser dans un certain dogmatisme. Et dans un précédent post, il avait convenu qu’à l’avenir, le pluralisme en matière de courants pédagogiques, devrait y être la règle.

Tomberons-nous donc d’accord sur le fait que dans les futurs ESPE, l’héritage de Buisson, les positions de Michel Delord sur le calcul, tout le travail du GRIP sur les programmes, sur l’apprentissage de la lecture doivent, à égalité avec ceux produits par d’autres courants, être portés à la connaissance des futurs PE ?

Cordialement.

Guy Morel

PS. L’auteur de Compter Calculer au CP est Pascal Dupré et non Catherine Huby, qui a écrit bien d’autres manuels.

Rédigé par : Guy Morel | le 20 février 2014 à 13:03 |

Acte 2. Scène 4. Rémi Brissiaud à Rudolf Bkouche, Guy Morel, Michel Delord

[Rudolf Bkouche, mathématicien, professeur émérite à l’Université de Lille 1, spécialiste de l’épistémologie et de l’histoire des mathématiques. Présentation plus complète dans l’Acte 1.]

Cher Monsieur Bkouche, cher Monsieur Morel, cher Monsieur Delord

Guy Morel écrit : « Le regretté André Ouzoulias reconnaissait, dans le long entretien avec Luc Cédelle publié ici, que (la) formation (des maîtres) avait pu verser dans un certain dogmatisme ».

Je ne voudrais pas que les lecteurs de ce blog pensent qu’André avait découvert cela de manière récente. Toute notre carrière, nous n’avons cessé de nous battre pour une formation mieux informée des résultats des recherches scientifiques, une formation critique et pluraliste.

Lisez mon dernier texte sur le Café pédagogique : je plaide même pour des programmes qui offrent la possibilité d’approches pédagogiques (didactiques ?) différentes et pour des documents d’accompagnement qui explicitent les points forts et les points faibles des différentes approches. Je plaide pour une forme d’évaluation qui consiste, pour un binôme d’étudiants, à ce que l’un d’eux tire au sort un choix didactique possible : « Enseigner les 4 opérations, y compris leurs signes opératoires, dès le CP », par exemple. Puis l’étudiant doit défendre cette position du mieux possible, l’autre étudiant défendant la position alternative : « Ne pas le faire ». Et ceci sans préjuger de ce que feront l’un et l’autre quand ils auront leur classe. L’idée étant qu’un futur maître fera d’autant mieux la classe qu’il se sera approprié les arguments en faveur de son choix (quel qu’il soit) ainsi que les arguments contre. Ce dernier point est important : lorsqu’un enseignant connaît les dysfonctionnements qu’on observe le plus souvent avec le choix qui est le sien, il repère bien mieux les signaux de tels dysfonctionnements.

Rudolf Bkouche est critique envers « la didactique des mathématiques». Il faudrait s’entendre sur ce que recouvre cette expression. J’utilise plus volontiers le mot «didactique» comme adjectif qu’en tant que nom. En effet, les travaux (thèses, articles…) qui se présentent comme relevant de « la didactique des mathématiques » me semblent avoir un point commun extrêmement gênant : on y sent le souci de maintenir à l’extérieur de « la didactique » quiconque n’a pas suivi la filière universitaire qu’ils défendent comme une forteresse assiégée.

Je suis intervenu 3 fois au séminaire national de didactique des mathématiques, pour présenter des recherches qui, ma foi, n’ont pas si mal vieilli que ça. Et pourtant, dans les thèses de didactique des mathématiques, jamais le contenu de ces interventions n’a été mentionné une seule fois.

Mon premier ouvrage a été traduit en espagnol et en portugais, j’ai écrit divers articles dit « scientifiques » en français et en anglais sur le thème de l’enseignement / apprentissage de l’arithmétique élémentaire, mais ceux-ci, aux yeux des didacticiens orthodoxes, ont le tort de se trouver dans des ouvrages ou revues de psychologie. L’un de ces textes a été commenté sur 3 pages dans un ouvrage paru simultanément à New-York, Adélaïde et Pékin et écrit par l’une des vedettes de la psychologie mondiale (Brian Butterworth : il avait pronostiqué l’Alzheimer de Reagan dès son 2e discours d’investiture). Et pourtant, dans les travaux relevant de « la didactique », je n’apparais jamais comme un chercheur digne d’intérêt : je suis soit l’auteur de manuels scolaires, soit un psychologue et, donc, tenant d’une autre approche que celle de « la didactique », une approche sur laquelle il vaut mieux ne pas s’attarder parce que seule « la didactique » serait à même d’étudier la façon dont se diffusent les savoirs mathématiques.

Peut-être aurez-vous compris que je ne fais pas pleinement partie de cette communauté ? Pour autant, je continuerai à lire leurs travaux et à proposer des interventions dans leurs séminaires et colloques quand cela me semblera pertinent, en espérant qu’un jour ils prendront conscience de la stupidité de cette attitude de forteresse assiégée. Toujours est-il, que s’il avait su cela, Rudolf Bkouche n’aurait certainement pas rédigé son dernier paragraphe à l’identique.

Dernier point concernant la conceptualisation de la multiplication : évidemment que le concept de commutativité ne va pas résulter du constat que dans un cas, ça marche (50 objets à 3 cruzeiros coûtent le même prix que 3 objets à 50 cruzeiros), ni même que dans 100 cas, 1000 cas… ça marche. Dans les années 60, Jean Piaget distinguait les généralisations empiriques et les généralisations constructives, celles qui tirent leurs raisons d’une réflexion sur les actions. Il n’y a pas de conceptualisation sans généralisation et, bien évidemment, les concepts arithmétiques sont des exemples privilégiés de concepts résultant d’une généralisation constructive (Piaget s’appuie beaucoup dessus). Prendre comme support empirique un quadrillage de 3 lignes et 4 colonnes, comme le préconise Michel Delord, pour mettre en relation les deux façons de le remplir ou de le former (3 rangées de 7 objets et 7 rangées de 3 objets), est un moyen de favoriser la prise conscience du fait que cela resterait vrai avec d’autres nombres. Je le fais depuis que je construis des progressions sur la multiplication. Guy Brousseau (le « père » de « la didactique des mathématiques ») le faisait avant moi et, très probablement, d’autres pédagogues avant.

Un petit post-scriptum à Michel Delord, enfin : il y a des périodes pendant lesquelles je ne regarde pas les blogs tel que celui-ci. En cas d’écrit nécessitant une réponse, n’hésitez pas soit à m’envoyer un mail, soit à le faire transiter par Luc Cédelle.

Rédigé par : Rémi Brissiaud | le 21 février 2014 à 19:49 |

Acte 2. Scène 5. Rudolf Bkouche à Rémi Brissiaud

à Monsieur Brissaud

Je connais suffisamment le milieu des didacticiens pour connaître leur petites querelles, mais cela ne m’intéresse pas. La didactique a conduit à inventer un savoir dit scolaire qui a peu de rapport avec le savoir. Et, quels que soient vos rapports avec les didacticiens, je lis dans vos textes le même oubli des mathématiques.

La façon dont vous oubliez de parler de grandeurs pour définir la multiplication me semble caractéristique de cet oubli. C’est pour cela que la commutativité apparaît dans votre texte plus comme un principe que comme une propriété issue à la fois de constatations empiriques et de raisonnement.

Quant à Piaget, j’ai appris en le lisant que pour fonder une « science » qui a nom «épistémologie génétique» il s’est appuyé sur de nombreux contresens, passant ainsi à côté de la pédagogie. Sa confusion entre les structures mathématiques définies par Bourbaki et ce qu’il considère comme les structures cognitives a conduit à la malheureuse réforme des mathématiques modernes. De même sa réinterprétation de l’histoire des mathématiques et de la physique pour justifier l’analogie entre phylogenèse et ontogenèse comme il le dit savamment.

[Note du blogueur: La phylogenèse est l’histoire de l’évolution d’une espèce. L’ontogenèse est le développement d’un individu de la conception à l’âge adulte. Le biologiste allemand Ernst Haeckel (1834-1919) a émis le principe, contesté depuis,  selon lequel «l’ontogenèse récapitule la phylogenèse».]

Quant à sa distinction entre deux formes d’abstraction, elle est loin d’être aussi claire qu’il le dit, mais là Piaget est victime de la peur de l’empirisme qui marquait l’époque et qui a marqué cette fille de Piaget qu’est la didactique.

Je suis d’accord avec vous pour dire que le mot « didactique » est un adjectif. Le substantif « didactique » tel qu’il s’est développé définit une « pseudoscience », pas plus.

Rédigé par : rudolf bkouche | le 22 février 2014 à 17:06

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Acte 2. Scène 6. Rémi Brissiaud à Rudolf Bkouche

À Monsieur Bkouche,

N’avez-vous pas compris que chacun de vos nouveaux commentaires est consacré à me faire un reproche qui n’a pas de raison d’être ? Dans ce dernier texte, vous dites que j’oublierais de parler des grandeurs pour définir la multiplication. Je vous renvoie donc à un texte qui date de 2006 et qu’on trouve sur le site de Michel Delord:

http://micheldelord.info/bris-rep-del.pdf

Venons-en à ce qui constitue le corps de (ma) réponse (à Michel Delord) : la question des «nombres concrets». Il semble me considérer comme un défenseur de la lettre du texte instituant la réforme de 1970. Si c’est le cas, il se trompe de cible : il me semble avoir été, il y a plus de 15 ans, parmi les premiers à proposer aux élèves des exercices où ils sont conduits à écrire des égalités telles que : « 6 cm = 60 mm » ou « 1/4m = … cm ». Et, en divers endroits, j’ai montré que je ne considérais nullement la production d’une écriture telle que « 4 € + 2 € 30 = 6 € 30 » comme la transgression d’un tabou.

[Note du blogueur: La « réforme de 1970 » est celle dite « des maths modernes », restée dans les mémoires comme l’archétype d’une mesure éducative de grande ampleur, mise en place d’en haut, dictée par la science la plus prestigieuse… et ayant abouti à un cuisant fiasco. On peut en trouver ici un historique et des témoignages, plutôt du côté de ses principaux acteurs et défenseurs. L.C.]

Par ailleurs, j’ai été un des seuls pédagogues à adopter une position très mesurée vis-à-vis de la pratique pédagogique encore courante aujourd’hui qui consiste, lors d’une résolution de problèmes où l’on cherche le résultat d’une addition répétée, à faire écrire aux élèves le multiplicande en premier (sans indication écrite de l’unité mais en interprétant oralement le nombre correspondant comme celui qui indique l’unité du résultat) et le multiplicateur en second. Dans le livre du maître que Michel Delord cite dans son texte, je dis explicitement que cela revient à faire pratiquer aux élèves ce qu’il appelle une « analyse dimensionnelle ». La seule différence entre cette pratique pédagogique et l’usage ancien des « nombres concrets » est que l’analyse dimensionnelle se fait alors de manière orale. On comprend bien pourquoi cette pratique pédagogique peut avoir un effet bénéfique et, en l’absence d’étude scientifique sur l’effet d’une telle pratique, il ne convient surtout pas de la condamner.

Quant à Piaget, son œuvre mérite un bilan beaucoup plus circonstancié que celui auquel vous vous livrez de façon rapide. Concernant les premiers apprentissages numériques, l’alliance de l’empirisme nord américain et du nativisme a, ces 30 dernières années, beaucoup influencé notre pédagogie. J’ai essayé de montrer que cela a eu un effet délétère (cf. mon dernier ouvrage).

Rédigé par : Rémi Brissiaud | le 26 février 2014 à 09:14 |

 

Acte 2. Scène 7. Guy Morel à tous.

Bonjour,

Une histoire de classe, pour alimenter le débat: cliquez ici sur le blog de Catherine Huby

Cordialement.

Guy Morel, co-secrétaire du GRIP

Rédigé par : guy morel | le 26 février 2014 à 16:56 |

[Récapitulatif du blogueur. On ne sait pas encore, à ce stade, si les protagonistes vont être d’accord sur quelque chose. Mais on voit que, bon gré, mal gré, ils discutent, qu’ils se rattachent à une combinaison de problématiques générales et de problématiques concrètes dans la classe et face à l’élève. On constate que tout travail sur les programmes plonge ses racines dans l’histoire de l’éducation. On touche aussi du doigt que «la science» est diverse et changeante et que l’invoquer ne suffit pas. On a également compris qu’un débat aigu se profile à partir de la commutativité de la multiplication,  de la définition de cette opération comme addition répétée et de la perception de la différence entre la signification de  «50 objets à 3 cruzeiros » et celle de « 3 objets à 50 cruzeiros». Ce débat pourrait bien déboucher sur le fait de savoir s’il faut enseigner cette opération (de même que la division) en tant que telle dès le CP ou si cet enseignement doit être plus progressif. Enfin, il apparaît qu’une entité désignée comme «la communauté des didacticiens des mathématiques» serait une sorte d’adversaire historique commun aux parties prenantes de ce dialogue. Tout cela fait une honnête dose d’informations pour un deuxième acte. L.C.]

A suivre..

Pour revenir à l’Acte 1, cliquer ici

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Enseignement du calcul: des éléments pour un débat (acte 1/6)

Comics1Ce n’est ni la première ni la dernière fois que cela arrive sur ce blog (dont je rappelle qu’il existe depuis mars 2008) : l’enchaînement des commentaires, puis des réponses aux commentaires, finit par créer un véritable fil de discussion. J’entends par là un débat suivi, serré, argumenté, parfois polémique, parfois policé, sur un ou plusieurs sujets qui se dégagent peu à peu et peuvent, de réponse en réponse, sembler très éloignés du billet qui avait déclenché les premiers commentaires.

Mené par des personnes motivées, voire passionnées, qui maîtrisent leur sujet et ne « lâchent rien », ou en tout cas pas facilement, ce type de débat est des plus instructifs. Une forme journalistique originale se construit ainsi, qui permet de « creuser » un sujet tout en faisant sentir que les questions abordées ne sont pas abstraites ni arbitraires, qu’elles s’inscrivent dans un contexte et qu’elles s’incarnent dans des personnages. Il arrive que les contributions, postées en commentaires, dépassent largement le format d’un « post » à part entière. Une fois lancé, le fil de discussion semble se dérouler tout seul: ce n’est pas entièrement vrai.

Les textes « tombent » les uns après les autres, certes, mais ce théâtre informatif où les prises de parole et les morceaux d’éloquence se succèdent a besoin que son metteur en scène reste présent et vigilant. Maître du blog, le journaliste valide ou ne valide pas les contributions proposées, écarte sans états d’âme les (rares) invectives, recadre les énervés, provoque s’il le faut les placides et relance à sa guise. La logique même du fil de discussion génère l’accumulation, donc l’hypertrophie. Assez vite, se pose ainsi un problème de format et de visibilité. Au bout de plusieurs semaines, un fil qui se respecte devient véritablement kilométrique.

Mais un fil est aussi un filon. Lorsque les contributions sont de qualité, il se transforme, mine de rien, en mine d’or. Et comme toute mine, son contenu n’apparaît pas à l’air libre: il faut accepter d’y descendre et d’en explorer les galeries. Le billet intitulé « Si l’école n’enseigne plus, alors pourquoi la conserver? », publié ici le 13 février, a généré des dizaines de commentaires qui ne sont plus des commentaires mais des argumentaires, des textes qui se sont entassés jusqu’à dessiner deux fils de discussion entrecroisés: l’un sur la pédagogie, l’autre, plus resserré dans sa thématique, sur les premiers apprentissages numériques en grande section de maternelle et au CP.

Ce sont là deux minerais que j’ai décidé d’extraire. Si j’en trouve le temps (les habitués de ce blog savent quelles sont mes contraintes actuelles hors éducation), je reviendrai sur la pédagogie, sujet récurrent et propice à une virulence qu’il faut toujours affronter. Mais ce que je vais d’abord ramener à la surface est le débat sur l’apprentissage du calcul. Sujet « serpent de mer » comme l’apprentissage de la lecture, il a comme point commun avec ce dernier d’être atrocement technique – du moins si l’on accepte, ce qui est ici la règle, de ne pas s’épouvanter de la première complexité venue.

L’apprentissage du calcul et celui de la lecture (que j’aborderai par ailleurs et autrement) sont inexorablement des sujets d’actualité, destinés à revenir au premier plan, ne serait-ce qu’en raison des travaux engagés par le Conseil supérieur des programmes, présidé par Alain Boissinot, qui a commencé à réunir des groupes d’experts et à organiser des consultations. C’est aussi, à l’évidence, cette perspective et le désir de peser sur ce processus qui motivent les participants à ce fil particulier de discussion. A propos de participants, je me permettrai, comme dans toute pièce de théâtre, de les présenter au moyen de didascalies. Il est utile, dans un débat de savoir « qui est qui ».

Dernier point: que personne ne s’attende à une lecture facile ! Ni rapide… Ni courte… Les discussions sur ce genre de sujet mènent aux confins du journalisme, là où la tentation est grande de laisser les experts à leur expertise et de leur dire que l’on reviendra quand ils seront d’accord… Pour autant, je ne connais guère de sujet qui garantisse le confort intellectuel à qui consent à s’y plonger. Même sélectionnés, les textes qui suivent paraîtront à certains interminables et d’autres trouveront que la tentative même de mettre en scène ce type de débat très technique relève de la haute fantaisie.

Laissons dire… Même si un simple survol devait se traduire par le seul constat de la technicité du débat, ce serait déjà une information : voilà, dès les toutes premières classes, le type de questions redoutables auxquelles se confronte toute entreprise de refonte des programmes. Et si, consentant à plus qu’un survol, il vous arrive de caler sur un passage qui vous semble ardu, l’avantage d’un fil de discussion sur d’autres sources d’information, c’est que vous pouvez y poser votre question. Bonne exploration!

Luc Cédelle

 

Acte 1

 Où la discussion s’engage autour de la commutativité de la multiplication

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Acte 1, scène 1. Rémi Brissiaud à Guy Morel.

[Rémi Brissiaud, ancien instituteur et professeur de mathématiques en école normale, puis maître de conférences en psychologie cognitive à l’université de Cergy-Pontoise, est actuellement chercheur au laboratoire Paragraphe à l’université de Paris 8, équipe Compréhension Raisonnement et Acquisition de Connaissances. Très connu dans l’enseignement primaire, il est aussi auteur de manuels.

Guy Morel, co-secrétaire du GRIP (Groupe de réflexion interdisciplinaire sur les programmes), ancien professeur de lettres en lycée, écrivain, spécialiste de Pagnol, auteur notamment de Barbie pour mémoire (1986, éditions de la FNDIRP) est aussi l’auteur, avec Daniel Tual-Loizeau, de plusieurs ouvrages dont les titres sont éclairants sur ses positions dans le débat sur l’éducation : L’Horreur pédagogique  (1999, Ramsay), Petit vocabulaire de la déroute scolaire (2000, Ramsay). L.C.]

Bonjour M. Morel,

Ce texte est une réponse à celui que vous avez posté le 13 février et dans lequel vous écrivez :

« PS. J’ai noté avec intérêt que M. Brissiaud a redécouvert récemment les mérites de l’enseignement du calcul préconisé par Henri Canac en 1960. Tout n’est donc pas perdu, et il se peut qu’un jour prochain, il feuillette les pages du DP de Buisson de 1887 consacrée à la question. J’ose même espérer que M. Goigoux fasse de même avec les pages du même ouvrage sur l’écriture-lecture. Rédigé par : Guy Morel | le 13 février 2014 à 17:52 |».

J’ai déjà eu un échange avec vous qui s’était terminé par l’expression d’excuses que j’ai bien volontiers acceptées. Vous vous adressiez à moi comme si j’étais la force invitante à un colloque ministériel alors que ce n’était pas le cas. En fait, je n’avais même pas été invité à intervenir lors de ce colloque. De façon générale, le moins que l’on puisse dire est que, jusqu’à présent, je n’ai guère été sollicité par un ministre quel qu’il soit (pas plus que ne l’a été mon ami André Ouzoulias. Pour lui, c’est définitif).

De nouveau, je trouve votre parole rapide et, de ce point de vue, vous conservez un style déplaisant qui explique que, bien que je trouve que les idées du GRIP méritent souvent d’être débattues (j’ai d’ailleurs essayé plusieurs fois de le faire), je m’abstiens le plus souvent de le faire aujourd’hui.

Vous écrivez : « J’ai noté avec intérêt que M. Brissiaud a redécouvert récemment les mérites de l’enseignement du calcul préconisé par Henri Canac en 1960. Tout n’est donc pas perdu, et il se peut qu’un jour prochain, il feuillette les pages du DP (dictionnaire pédagogique) de Buisson de 1887 consacrée à la question. »

Si je comprends bien, ma lecture des pédagogues d’avant 1970 (date de la réforme des maths modernes) serait récente et celle du DP de Buisson à venir. Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela ?

[Note du blogueur: Ferdinand Buisson (1841-1932), directeur de l’enseignement primaire de Jules Ferry]

Lisez mon ouvrage de 1989 (Comment les enfants apprennent à calculer ? – notez la présence du mot « calculer » et non « compter ») et vous verrez qu’il n’en est rien. Il contient de nombreuses citations de pédagogues d’avant 1970 sur lesquelles je m’appuie (en complément de résultats de recherches) pour affirmer qu’il faut d’emblée viser l’enseignement du calcul à l’école et pour émettre une mise en garde : l’enseignement du comptage, tel qu’il s’effectue dans les familles, a un rôle ambivalent concernant le progrès vers le calcul. Nos prédécesseurs dans le métier s’en méfiaient comme de la peste. Une question au passage : la découverte de ce phénomène ne serait-elle pas récente au sein du GRIP ? Sinon, comment expliquer que Catherine Huby ait intitulé son manuel de CP et, pire, de CE1 : « Compter, calculer au CE1 » ? (voir aussi les interventions de Catherine Huby sur le site pré-cité).

[Note du blogueur: Catherine Huby est membre du GRIP, impliquée dans l’expérimentation SLECC (Savoir lire, écrire, compter, calculer), et auteur de manuels d’apprentissage de la lecture édités par le GRIP. Pour la situer, elle est l’auteur du texte « Mon métier à moi, c’est maîtresse d’école », publié en billet sur ce blog qui a rencontré un beau succès dans le milieu des pédagogues et mériterait de figurer dans un « best of ». L.C.]

Quant au Dictionnaire pédagogique de Ferdinand Buisson, je l’ai lu la première fois en 1977 (j’étais en « stage d’adaptation » parce qu’ancien professeur de lycée, je devenais professeur d’école normale). Je suppose que vous êtes convaincu du contraire parce que je ne fais pas miennes toutes les recommandations du Dictionnaire. Mais comment faut-il qualifier le rapport à un ouvrage qui consisterait à en épouser systématiquement les thèses? À un niveau général, mon accord avec les thèses défendues dans le DP, est profond mais dans le détail, je pense qu’avec les connaissances qui sont les nôtres aujourd’hui, il faut nuancer ce qui y est dit et ne pas systématiquement retenir ce qui y est préconisé.

Je prendrai comme exemple un extrait du texte de Michel Delord auquel vous renvoyez dans votre billet :

“Jusqu’en 1970, on apprend simultanément le calcul et la numération : au programme de CP figure les quatre opérations car par exemple il n’est pas possible d’apprendre la numération sans connaitre la multiplication puisque 243 signifie bien 2 fois100 plus 4 fois 10 plus 3.”

Pour moi, il n’est pas nécessaire d’avoir étudié la multiplication au CP pour savoir que 43, c’est 4 fois 10 plus 3, l’addition répétée suffit. Il faut savoir que 40 = 10 + 10 + 10 + 10, ce qui peut évidemment se dire : 40, c’est 4 fois 10. En effet, le mot « fois » fait partie du langage quotidien et il n’est pas nécessaire de l’avoir associé à la multiplication et au signe «x» pour l’utiliser. Nous allons voir en effet qu’utiliser le signe «x» et le mot «multiplication» à ce niveau de la scolarité n’est pas sans inconvénient. Pour s’en rendre compte, on peut se rapporter aux résultats d’une recherche menée à Recife, au Brésil. Schlieman et collègues (1998) proposent ces deux problèmes à des enfants entre 8 et 12 ans qui sont « vendeurs des rues » et qui n’ont jamais fréquenté l’école :

(1) Combien faut-il payer en tout pour acheter 3 objets à 50 cruzeiros l’un ?

(2) Combien faut-il payer en tout pour acheter 50 objets à 3 cruzeiros l’un ?

75% de ces enfants qui n’ont jamais entendu parler de la multiplication et qui ne connaissent pas le signe « x », réussissent le problème (1). Concernant le problème (2), avec les mêmes enfants des rues, on observe un taux de réussite de… 0%. Il faut en tirer les conséquences : le problème (1) n’est pas un problème de multiplication, on peut le réussir sans avoir étudié cette opération, c’est un problème d’addition répétée. En revanche, le problème (2) est un authentique problème de multiplication : on ne peut pas le réussir sans avoir étudié cette opération. En effet, l’échec au problème (2) ne s’explique pas parce que les enfants ne comprennent pas la situation parce que c’est la même situation que celle qui est décrite dans le problème (1) ; il ne s’explique pas non plus parce que les enfants ne savent pas calculer 3 fois 50 (sinon ils échoueraient au premier problème) ; il s’explique parce que des enfants non scolarisés ne savent pas que 50 fois 3 et 3 fois 50 conduisent au même nombre (commutativité). Les enfants de la rue cherchent à faire : 3 + 3 + 3 + 3 +… et, bien entendu, ils ne s’en sortent pas. Comprendre une opération, c’est en comprendre les propriétés essentielles, comme la commutativité de la multiplication, les propriétés que les chercheurs qualifient de « conceptuelles ».

Dans un article publié dans la revue Developmental Science (Brissiaud et Sander, 2010), nous avons montré que pour chacune des principales situations qui donnent du sens aux 4 opérations, on peut distinguer comme ci-dessus 2 sortes de problèmes : des problèmes comme le (1) dont la réussite atteste la compréhension de la situation et des problèmes comme le (2) dont la réussite atteste que l’enfant a commencé à comprendre l’opération arithmétique parce qu’il en utilise une propriété conceptuelle.

Pour la multiplication et la division, une façon de lutter contre l’échec scolaire consiste à commencer par s’assurer que les enfants comprennent les situations qui donnent du sens à ces opérations en leur proposant des problèmes comme le (1) (sans parler de l’opération, ce n’est pas nécessaire) avant, dans un deuxième temps, de définir l’opération aux enfants en s’appuyant sur des problèmes comme le (2). La raison : les enfants n’ont pas tout à apprendre en même temps, la progressivité est meilleure. On risque moins de se retrouver avec des élèves qui, face à un problème, ne cherchent plus à comprendre la situation décrite et choisissent une opération selon l’air du temps.

Par ailleurs, lorsque vous dites à un enfant : « Comme 50 fois 3 et 3 fois 50, c’est le même nombre, pour ne pas l’oublier, les hommes ont inventé une opération arithmétique elle s’appelle la multiplication… », l’enseignement correspondant est plus explicite: lors de la première rencontre avec la multiplication, vous mettez l’accent sur une propriété essentielle de cette opération, vous ne leurrez pas les enfants en leur faisant croire que vous leur enseignez la multiplication alors que vous ne faites que leur enseigner l’addition répétée.

Ferdinand Buisson ne pouvait pas savoir tout cela. Même s’il avait raison sur l’essentiel, c’est-à-dire sur le fait que comprendre le nombre 8, c’est savoir que 8 = 7 + 1 ; 8 = 10 – 2 ; 8 = 4 + 4 etc., je ne pense pas que l’absence de l’écriture 8 = 4 x 2 soit un manque important.

Bref, au-delà du fait que je vous ai convaincu ou non, le DP de Buisson a-t-il figé à jamais notre connaissance des phénomènes didactiques ou bien y a-t-il place pour une recherche de meilleures progressions ? Et pourquoi quiconque se situant dans une telle dynamique ne mériterait que le sarcasme ?

Rédigé par : Rémi Brissiaud | le 18 février 2014 à 21:09 |

 

Acte 1, scène 2. Rudolf Bkouche à Rémi Brissiaud

[Rudolf Bkouche, mathématicien, professeur émérite à l’Université de Lille 1, ancien directeur d’IREM (institut de recherches sur l’enseignement des mathématiques), est ce qu’il est convenu d’appeler une « pointure » dans l’épistémologie et l’histoire des mathématiques. On peut le voir et l’entendre sur Internet sur cette vidéo ou bien celle-ci. Par ailleurs il est  juif antisioniste, militant anticolonialiste et membre d’associations de solidarité avec les travailleurs immigrés et les sans-papiers. Dans une lettre ouverte à Claude Guéant lorsque celui-ci était ministre de l’Intérieur, il se présentait comme « métèque de souche ». L.C.]

Brissiaud dit une chose intéressante, savoir qu’une addition répétée devient difficile lorsqu’elle est trop longue, mais refuse de comprendre que la multiplication a été inventée pour éviter des additions répétées trop longues.

Qu’est-ce que cela veut dire que le fait que 3×50 et 50×3 sont égaux est conceptuel ? Les concepts ne sont pas des mythes révélés et la question reste : comment se construisent les concepts ?

Si Brissiaud a lu Delord comme il le dit, il devrait savoir que 3 fois 50 cruzeiros et 50 fois 3 cruzeiros ce n’est pas la même chose.

Brissiaud refuse de penser la multiplication des entiers comme une addition répétée ; c’est quoi alors une multiplication ? Ecrire : « Comme 50 fois 3 et 3 fois 50, c’est le même nombre, pour ne pas l’oublier, les hommes ont inventé une opération arithmétique elle s’appelle la multiplication… » n’explique rien et surtout passe à côté du sens de la multiplication.

Quant à dire que Buisson n’avait pas les connaissances nécessaires pour dire ce qu’est la multiplication, c’est encore une idée d’authentique scientifique qui veut se convaincre que la didactique a apporté des connaissances nouvelles tout en oubliant les mathématiques.

Rédigé par : rudolf bkouche | le 19 février 2014 à 11:00 |

Acte 1. Scène 3. Rémi Brissiaud à Rudolf Bkouche

Bonjour M. Bkouche,

Quand vous dites que je refuserais « de comprendre que la multiplication a été inventée pour éviter des additions répétées trop longues » , j’avoue que les bras m’en tombent : je passe mon temps à dire que la multiplication a été inventée parce que l’addition répétée 3 + 3 + 3 + 3 + 3 + … (50 fois) est trop longue. Comme le calcul de cette addition conduit au même nombre que l’addition répétée 50 + 50 + 50, cette propriété permet de remplacer un calcul fastidieux par un calcul simple. De mon point de vue, dès la leçon d’introduction de la multiplication, il convient de mettre l’accent sur la commutativité de cette opération comme moyen de remplacer une addition répétée trop longue par une plus courte. Votre reproche me semble donc totalement infondé.

De même, quand vous dites que je refuserais de « penser la multiplication des entiers comme addition répétée », je ne vois pas à quoi vous faites allusion. En effet, je dis qu’avoir compris la multiplication, c’est avoir compris l’addition répétée et, de plus, avoir compris certaines propriétés conceptuelles, dont la commutativité. La preuve : un grand nombre d’enfants réussissent les problèmes qui nécessitent seulement l’addition répétée (problèmes de type 1 dans mon commentaire précédent) et échouent ceux qui nécessitent la commutativité (problème de type 2). Une autre preuve : chez les adultes, la résolution mentale d’un tel problème de type 2 prend plus de temps que celle d’un problème de type 1 (données non publiées).

Je suis désolé mais les données expérimentales précédentes ne laissent place à aucun doute: il existe bien deux niveaux de compréhension qui, d’un point de vue développemental, se succèdent : {addition répétée} d’abord puis : {addition répétée + commutativité}. Après avoir été prof de maths pendant 20 ans, j’ai repris des études de psychologie expérimentale pour pouvoir m’appuyer sur des données empiriques telles que celle-ci. Je n’y renoncerai pas facilement parce qu’il me semble que c’est le seul moyen de sortir de certains débats d’opinion stériles.

Lorsqu’on en est là, il faut décider du moment où l’on décide de parler de « multiplication » aux élèves : faut-il le faire dès l’usage de l’addition répétée, qui doit être très précoce, ou seulement quand la commutativité est disponible ? J’ai fait le second choix et j’en ai donné les raisons dans mon commentaire précédent. Pour mieux me faire comprendre, je vais m’appuyer sur d’autres données empiriques, issue de la même recherche (Brissiaud et Sander, 2010) : à l’entrée au CE1, les problèmes « Combien y a-t-il de fleurs en tout dans 2 bouquets de 10 fleurs », « Quel est le prix total de 3 objets à 10 euros l’un ? », « Combien y a-t-il de gâteaux en tout dans 4 paquets de 10 gâteaux ? », etc. ont un taux de réussite de 0,47 seulement (les multiplicateurs étaient 2, 3 ou 4, les énoncés étaient donnés oralement deux fois de suite, les élèves devaient donner la réponse numérique en une minute maximum).

Or, ces problèmes nécessitent des connaissances numériques minimum ; en fait, ils nécessitent seulement de se représenter mentalement les situations décrites dans les énoncés (les problèmes étaient mélangés à d’autres d’addition, de soustraction, de partage, etc.). Devant un tel taux d’échec, il me semble bien durant tout le CP et au tout début du CE1 de travailler spécifiquement la compréhension de ce type de situations, en utilisant l’addition répétée comme seul symbolisme parce qu’il est celui qui rappelle le mieux la situation : derrière 10 + 10 + 10, un élève peut aisément imaginer chacun des 3 bouquets, par exemple. Puis, vers novembre au CE1, enseigner la multiplication en insistant sur la commutativité de cette opération, afin de proposer des problèmes du type : « Combien y a-t-il de fleurs en tout dans 14 bouquets de 2 fleurs », « Combien y a-t-il de gâteaux en tout dans 10 paquets de 6 gâteaux ? », etc. Avant d’enseigner la multiplication par un nombre à deux chiffres…

J’espère que vous comprendrez que ma démarche n’a qu’un seul but : la démocratisation de l’enseignement de l’arithmétique élémentaire. Concernant la fin de votre commentaire : « Quant à dire que Buisson n’avait pas les connaissances nécessaires pour dire ce qu’est la multiplication », là encore, je n’ai rien dit de tel : j’ai seulement dit que Buisson ne disposait pas de données empiriques telles que celles collectées par Schliemman et collègues ou celles qui viennent d’être rappelées. De ce fait, il n’est pas inimaginable que l’intérêt de distinguer deux niveaux de compréhension, ait été moins saillant à son époque qu’aujourd’hui. Je ne commenterai pas les paroles peu amènes avec lesquelles vous clôturez votre propos.

Monsieur Bkouche, j’ai eu, il y a longtemps maintenant, le plaisir de lire certains de vos travaux (sur les fractions et les décimaux notamment) et de les apprécier particulièrement. Que vous est-il arrivé pour que vous sembliez avoir autant de difficulté aujourd’hui à rentrer dans la pensée de quelqu’un d’autre ?

Rédigé par : Rémi Brissiaud | le 19 février 2014 à 19:33 |

 

Acte 1. Scène 4. Rudolf Bkouche à Rémi Brissiaud

Bonsoir,

Votre texte laisse entendre que vous distinguez addition répétée et multiplication. C’était ce qui me posait problème. Si on définit la multiplication comme une addition répétée, alors il faut distinguer le multiplicande et le multiplicateur et dans ce cas l’addition n’a aucune raison d’être commutative. Vous vous appuyez sur la remarque que 3 objets à 50 cruzeiros coûtent le même prix que 50 objets à 3 cruzeiros. D’accord, mais contrairement à ce que vous dites, cela est une constatation empirique non un résultat conceptuel et ne montre en rien que la multiplication est commutative. Relisez Michel Delord.

[Note du blogueur: Michel Delord, spécialiste de l’histoire du mouvement ouvrier, ancien professeur de mathématiques dans le secondaire, coauteur des logiciels d’apprentissage des mathématiques ADI et ADI bac, membre du CA de la Société Mathématique de France de 2002 à 2008, a été à l’origine de la création du GRIP et du concept SLECC (savoir lire, écrire, compter, calculer) dont l’expérimentation est menée dans plusieurs dizaines de classes. Suite à des désaccord et des tensions internes, il a été exclu du GRIP en 2010 mais, comme on le constate ici, n’a pas rompu tout contact avec certains membres de ce groupe. L.C. ]

La commutativité est liée à la remarque purement numérique que 3 rangées de 7 objets donne le même nombre d’objets que 7 rangées de 3 objets, remarque qui porte sur le rangement, ce qui permet de dire que si on change de nombres, ce sera la même chose. On peut alors parler de nombres génériques. Dans votre texte vous sautez une étape, mélangeant une constatation empirique et un aspect conceptuel. Il y a ici un raisonnement bien rapide qui fait apparaître la commutativité comme une propriété magique. La commutativité n’est donc pas une propriété première si on considère la multiplication comme une addition répétée. C’est le sens de ma critique.

Je suis d’accord sur les deux niveaux, mais le passage au deuxième niveau demande d’être précisé autrement que par un renvoi à un conceptuel qui apparaît ici quelque peu mythique. Qu’est-ce que vous entendez par conceptuel ?

Quant à dire que le passage au second niveau passe par la commutativité, cela me semble bien rapide. C’est justement le passage au second niveau qui pose la question de la commutativité.

C’est pour cela que je dis que votre discours oublie les mathématiques.

Mais cet oubli des mathématiques est peut-être le point faible de la didactique, ce que m’a appris la lecture des didacticiens. Je n’ai aucune animosité contre les didacticiens mais je reste critique envers la didactique et votre texte ne fait que me conforter.

Rédigé par : rudolf Bkouche | le 19 février 2014 à 23:33 |

A suivre

« Les enfants appartiennent à l’Etat »: démenti formel de la sénatrice Laurence Rossignol

«Les enfants n’appartiennent pas à leurs parents. Ils appartiennent à l’Etat ». Sur les réseaux sociaux et sur les sites des groupes menant actuellement la campagne contre ce qu’ils appellent la «théorie du genre», cette phrase est prêtée à la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, qui l’aurait prononcée dans l’émission Ce soir ou jamais, de Frédéric Taddei, sur France 2, le 5 avril 2013. « Falsification , mensonge et manipulation», répond la sénatrice dans un communiqué rendu public mardi 28 janvier.

On pouvait s’attendre à ce démenti formel. Autant la première partie de la phrase est vraisemblable, et n’a strictement rien de choquant – aucun être humain n’étant en effet la propriété de personne – autant la deuxième partie n’est pas plausible. La première partie a bien été prononcée, dans le contexte des propos échangés dans cette émission. Celle-ci n’étant pas accessible sur le site de France 2, le seul moyen de le vérifier totalement est de consulter les archives de l’INA. Ce que nous indiqué avoir fait Laurence Rossignol avec son équipe afin de disposer du script du passage incriminé. L.C.

Voici le texte intégral du communiqué:

« Les enfants appartiennent à l’Etat » : falsification, mensonge et manipulation

Pour  alimenter une campagne obscurantiste contre l’enseignement de l’égalité filles / garçons à l’école, plusieurs réseaux et leurs porte-paroles*  n’hésitent  pas à propager que selon Laurence Rossignol « Les enfants appartiennent à l’Etat ». Il est ainsi insinué que je nierais  tous droits à la famille.

Sur certaines pages web, mon nom et cette phrase sont accompagnés d’une photo d’Hitler ou de Staline.

Je n’ai jamais, ni dans l’émission « Ce soir ou jamais » du  5 avril 2013, ni en aucune autre circonstance, tenu de tels propos.

Cette citation est une falsification et une manipulation comme l’est la campagne d’opinion menée contre le soi-disant enseignement de la théorie du genre qu’elle est censée illustrer.

Le mensonge est au service du mensonge.

Je poursuivrai donc en diffamation les médias, organisations ou les auteurs qui publieront cette phrase ou continueront de la publier en me l’attribuant.

* Civitas, Egalité et Réconciliation d’Alain Soral, Journée de Retrait de l’Ecole, Farida Belghoul etc.

Laurence Rossignol

Sénatrice de l’Oise

Porte parole du Parti Socialiste