Formation des enseignants : éspé, espoirs et désespoirs … (2/4)

Paris, 2009
Paris, 2009

Deuxième partie de notre entretien avec André Ouzoulias. Pour qui l’aurait «ratée », la première partie est ici.

Professeur agrégé honoraire de philosophie, Université de Cergy-Pontoise (ex-IUFM), directeur de la collection Comment faire ? (coédition CRDP de l’Académie de Versailles-Retz), cofondateur du Groupe Reconstruire la formation des enseignants (GRFDE).

LC : Cela fait quinze ans que j’entends répéter partout, sauf chez les défenseurs acharnés du « tout disciplinaire », qu’il faut cesser de recruter des profs sur de seuls critères académiques, que la seule maîtrise d’une discipline ne suffit pas à faire un bon enseignant et que la clé du renouveau est précisément de « professionnaliser les concours »…  Je croyais les camps bien délimités, et voilà que [dans la partie 1 de l’entretien] vous dénoncez comme « une grave erreur » le fait de vouloir donner une coloration professionnelle aux concours !  Vous y voyez même un encouragement à « répéter une sorte de catéchisme ». C’est un peu le monde à l’envers, non ? Alors, les notions de déontologie du métier, d’histoire de l’école, de connaissance de l’institution, etc… tout cela relève pour vous du « catéchisme » ?

André Ouzoulias
André Ouzoulias

AO : Bien sûr, il y a des connaissances et des valeurs en matière d’éducation qui font consensus. Ce que vous citez : déontologie du métier, histoire de l’école, connaissance de l’institution peuvent légitimement s’enseigner et — vous avez raison — s’évaluer à un concours, car ce sont des connaissances et des valeurs partagées. On pourrait même préciser encore : la connaissance de la laïcité (la loi de 1905, les valeurs portées par cette conception de la vie collective , l’histoire de la laïcité à l’école), la sociologie de l’éducation, l’éducation comparée…

Il est vrai qu’il n’y avait pas que la didactique dans les épreuves des concours d’avant 2009. Même si elle avait une grande importance, notamment pour le concours des PE, le candidat devait avoir un minimum de « culture pédagogique générale ». Mais il me paraît fondamental de distinguer entre de telles connaissances et les discours didactiques qui se présentent, eux, comme des prescriptions : « il ne faut pas faire ceci, il faut s’y prendre comme cela », là où, en fait, il n’y a pas de consensus mais des débats, parfois vifs, entre des approches différentes.

Quant au discours selon lequel le renouveau passe par la « professionnalisation des concours », il pèche par excès de simplicité et par naïveté. Excès de simplicité : il confond concours et recrutement. Imaginons que le concours se fasse sur critères académiques après la licence et donne accès à une école professionnelle, ce qui est le cas de la plupart des écoles professionnelles supérieures. Supposons qu’il ouvre sur une formation qui nécessite l’obtention progressive d’un master dans lequel il y a, dès le début, des stages pratiques. Si cette formation se conclut par un certificat d’aptitude pratique… alors le recrutement véritable se fait à cette étape, à l’issue d’un processus graduel – j’insiste sur ce terme – qui permet de réorienter, assez tôt dans la formation, des lauréats qui montreraient des difficultés  importantes d’adaptation au métier.

LC : Donc, si je vous suis bien, le « processus graduel » que vous suggérez aurait pour première conséquence que la réussite au concours ne se traduirait pas par un « recrutement véritable ». Il y aurait donc un découplage concours/recrutement. Le concours, purement académique, n’étant plus dans ce schéma qu’une première étape. Mais quel serait alors le statut des lauréats ? Et que faire de ceux, parmi eux, qui seraient finalement recalés à l’étape professionnelle ?

Disons plutôt que le « couplage » se ferait entre certification finale et recrutement. Le statut des lauréats, pendant le master, pourrait s’inspirer de celui des normaliens des Écoles normales supérieures, celui d’élève-professeur. Mais je crois qu’on pourrait aussi imaginer une solution originale qui protège les lauréats sans rendre leur recrutement automatique. Cela ne changerait rien aux statuts des enseignants-stagiaires en troisième année de formation. Quant à ceux — a priori très peu nombreux — qui ne seraient pas en mesure de s’adapter aux exigences du métier au début du master, le processus graduel auquel je pense devrait comporter pour eux des dispositifs d’aide et de réorientation.

La validation des stages constitue donc ici un élément décisif de l’évaluation du master et de la délivrance du diplôme et ainsi est assise institutionnellement cette idée juste que « la seule maîtrise d’une discipline ne suffit pas à faire un bon enseignant ». Encore ne faut-il pas opposer ces deux dimensions, académique et pédagogique, qui doivent s’articuler tout au long de la formation. On ne fait jamais du « mieux pédagogique » en minorant la culture disciplinaire du professeur, y compris et peut-être surtout celle du PE (professeur des écoles).

LC : Et la « naïveté », que vous prêtez à cette idée du « concours professionnel » ?

Oui, les défenseurs du « concours professionnel » font également preuve de naïveté : ils pensent que des épreuves écrites et orales bien conçues peuvent donner à voir les premières capacités professionnelles des candidats. On ne comprend pas comment ces capacités peuvent se développer dans l’année précédant le concours alors même que celle-ci ne comporte pas de stages pratiques conséquents. À moins de ne juger que de capacités plus générales à communiquer avec un jury, mais on en revient à un concours plus classique quand il évalue cela au cours des épreuves orales.

En outre, la thèse du « concours professionnel » se berce d’illusions : comment être certain que le candidat qui présente devant le jury une leçon fictive pour des élèves virtuels fera un bon enseignant ? Dans sa prestation, il n’y a pour l’essentiel que des capacités discursives et il n’est pas certain, loin de là, que les meilleurs dans cet exercice (auquel on peut s’entraîner) fassent les meilleurs enseignants dans la classe, au contact d’élèves en chair et en os. Ce n’est pas la même chose de dire ce qu’il faut faire et de pouvoir le faire dans des conditions réelles.

Enfin, le candidat doit dire ce qu’il croit que le jury attend de lui, laissant éventuellement place à l’hypocrisie… Le jury observe-t-il un futur enseignant ou un candidat qui n’a qu’une idée en tête : réussir le concours en tenant du mieux possible le rôle auquel il s’est préparé ? À tous points de vue, le « concours professionnel » est l’exemple même de la fausse bonne idée.

Remarquons au passage que, pour la formation des PE, on revient aujourd’hui à ce modèle d’avant 2009 : dans la réforme Peillon, on a repris l’idée d’un concours à coloration professionnelle au milieu des deux années de formation. Mais on a sérieusement aggravé les défauts du dispositif en augmentant énormément la dose de professionnel dans les épreuves de beaucoup de concours (environ 80 % de la note finale pour les PE dans les épreuves orales !), redonnant ainsi plus de force à la dérive vers la dogmatisation de la didactique. Les épreuves professionnelles du concours sont un piège pour la didactique. Elle croit être ainsi valorisée et institutionnalisée. Mais elle y perd son âme. Et les critiques des antipédagogistes à l’égard de la didactique ne sont pas sur le point de s’éteindre.

Recherche de la vérité

LC : La professionnalisation des concours, une fausse bonne idée… C’est votre position personnelle ou celle du GRFDE, dont je ne voulais pas que l’on parle tout de suite ? Mais au point où on en est, rappelons aussi en quelques mots ce qu’est ce « Groupe reconstruire la formation des enseignants »…

AO : Je ne parle pas ici au nom du GRFDE. Mais étant l’un de ses cofondateurs, il m’est agréable de répondre. Dans son texte programmatique, intitulé « Reconstruire la formation des enseignants », le GRFDE plaide pour un concours à l’issue de la licence, sur critères académiques et donnant accès à une formation dans une école professionnelle supérieure d’une durée de 3 ans. Cette position ne m’est donc pas propre.

Et maintenant qu’est-ce donc que le GRFDE ? Créé en septembre 2012, à la fin de la concertation nationale sur la formation des enseignants organisée par le ministère, il réunit aujourd’hui 250 chercheurs, formateurs et militants pédagogiques Il a été créé par des animateurs de la Coordination nationale formation des enseignants (CNFDE) qui avait émergé en janvier 2009 pour favoriser la mobilisation contre la réforme de Xavier Darcos.

Paris, 2009
Paris, 2009

LC : Coordination dont – je le rappelle car vous n’alliez pas le faire vous-même – vous étiez un pilier… Mais quand vous indiquez que ce groupe compte 250 membres, ce n’est pas forcément très parlant. Certains sont des gens connus. Pouvez-vous citer quelques noms ?

AO : Ce que vous me demandez là est embarrassant. Notre démarche a un caractère collectif. Tous les signataires sont égaux.

L.C : Alors, je vais le faire à votre place, sous ma responsabilité… Je n’en citerai que quelques uns, par ordre alphabétique et sans développer leurs titres ou mandats : Jean-Louis Auduc, Élisabeth Bautier, Serge Boimare, Rémi Brissiaud, Catherine Chabrun, François Dubet, Roland Goigoux, Sylvain Grandserre, Danièle Manesse, Philippe Meirieu, Patrick Rayou, Jean-Yves Rochex, Bernard Toulemonde, Vincent Troger, Philippe Watrelot, etc. Est-ce que je me trompe si j’ai l’impression qu’ils appartiennent, sur l’éducation, à la même famille de pensée ?

AO : Ils viennent d’horizons divers : chercheurs en didactique des disciplines, en psychologie, en sciences de l’éducation, praticiens-formateurs et formateurs permanents des IUFM (aujourd’hui des ÉSPÉ), militants pédagogiques, anciens cadres de l’Éducation nationale. Ils ont en fait des visions diverses de la pédagogie et sont loin d’être d’accord sur tous les sujets concernant l’école. S’ils se sont réunis dans ce groupe, c’est d’abord parce que tous étaient opposés à la réforme Darcos-Chatel. Ils ont soutenu l’idée qu’« enseigner est un métier qui s’apprend » et, au moment où il fallait miser sur la refondation de la formation, indispensable pour sortir du marasme, ils se sont retrouvés sur ce que cela devait signifier dans les grandes lignes.

LC : Il y a pourtant des limites à la représentativité du GRFDE. Sur ce thème, je peux reprendre ma question à l’envers : qui n’en fait pas partie ? Je n’ai pas vu, par exemple,  de syndicalistes dans la liste de signataires.

AO : Détrompez-vous. Un très grand nombre des signataires sont adhérents ou militants des syndicats du supérieur et de diverses organisations du syndicalisme enseignant. Il est vrai cependant qu’on ne retrouve pas parmi les signataires les dirigeants nationaux de plusieurs syndicats comme c’était le cas avec la pétition 100 000 voix pour la formation des enseignants lancée en janvier 2010 par des animateurs de la CNFDE. Mais obtenir l’adhésion des organisations syndicales au GRFDE n’est pas son objectif. Il affirme vouloir contribuer à la réflexion de tous les acteurs des décisions dans le domaine de la formation des enseignants.

Et en intervenant régulièrement dans le débat public, il ne désespère pas de faire évoluer les positions des uns et des autres, notamment sur la place du concours, qui conditionne vraiment beaucoup de choses. Ainsi, après avoir publié en septembre 2012 un programme qui dessine une formation en alternance, de haut niveau académique et pédagogique, d’une durée importante (trois ans), rémunérée et diplômante (obtention d’un master), le GRFDE a publié depuis lors une dizaine de textes que l’on peut retrouver sur site son site. On y lira notamment des critiques sévères de la réforme Peillon.

LC : Nous y voilà. Vous connaissez la réputation des enseignants version « café du commerce » : jamais contents, toujours en train de récriminer… Des critiques sévères, dites-vous. Mais vous venez déjà d’en porter une, contre des concours de professeurs des écoles que vous trouvez à trop forte coloration professionnelle. Qu’allez-vous sortir de votre chapeau maintenant ?

AO : « Sortir de mon chapeau » voudrait dire que ces critiques seraient gratuites, dictées par la mauvaise foi ou le désir de contester à tout prix. Or ce n’est pas du tout le cas, et le parcours des membres du GRFDE serait en lui-même suffisant pour en témoigner. Et le GRFDE n’est pas le seul à le dire : il existe dans la réforme actuelle un énorme défaut, contre lequel il n’a cessé, jusqu’à présent en vain, de mettre en garde ses concepteurs. Il s’agit de la place des concours dans le cursus de formation. En effet, les candidats aux divers métiers de l’enseignement doivent disposer d’un master, qui comporte deux années d’études après la licence. Pour passer le concours, il suffit d’être inscrit en première année (M1), le concours n’étant validé, à la fin de la seconde année (M2), que si le candidat atteste, bien sûr, de l’obtention du master complet. Les épreuves se déroulent au cours de cette même première année, épreuves écrites en mars, épreuves orales entre avril et juin.

Il faut souligner ici que, sur le plan légal, ce dispositif diminue d’une année — et c’est un comble pour un gouvernement de gauche ! — la durée de la formation initiale.

LC : Comment cela ?

Dans le dispositif hérité de Xavier Darcos et Luc Chatel, la formation initiale durait légalement trois ans, deux années de master et une année de stage, la formation se terminant à bac + 6. Certes, on l’a déjà dit en parlant du compagnonnage, le terme de stage est à prendre ici dans son acception purement administrative. Mais on pouvait imaginer que la réforme consiste en particulier à rétablir une année de stage avec un temps des service réduit pour les stagiaires. Or, avec le dispositif de Vincent Peillon, l’année de stage a été avancée et placée pendant le M2. Légalement et objectivement, il n’y a donc plus que deux années de formation initiale et celle-ci se termine à bac + 5.

LC : Vous êtes le seul à le dire !

Non, dans plusieurs textes sur le dispositif voulu par Vincent Peillon, le GRFDE a pointé cette diminution. C’est en quelque sorte le retour à l’ancien dispositif, celui d’avant la « mastérisation », avec les contraintes d’un master dont les exigences sont nécessairement revues à la baisse. Du reste, on peut légitimement se questionner sur la valeur ajoutée d’un tel master. Cette contradiction n’a pas non plus échappé à bien des syndicats.

A suivre

Propos recueillis par Luc CédelleRampe4

Un commentaire sur “Formation des enseignants : éspé, espoirs et désespoirs … (2/4)

  1. Pas le seul à le dire, sans doute ; mais un peu seuls, à 250 (sans ironie, c’est peu) oui, d’autant plus que le ministre ne semble pas du tout confiant dans la formation des maîtres. VP fait le service minimum dans le contexte d’une promesse de campagne qu’il assume bien mal, puisqu’il entretient cette singularité d’une formation à un métier qui ne relève pas du modèle de préparation en vigueur pour des métiers « sérieux » qui comptent vraiment (médecin, avocat, magistrat, ingénieur, cadre commercial, etc.).

Laisser un commentaire