Education sexuelle et théorie du genre (2) Ce qui est obligatoire reste aléatoire

couverture d'un document de l'Unesco

Les débats sur l’enseignement du « genre » en 1ère ou les obstacles à la diffusion du « Pass contraception » au lycée rappellent que l’éducation à la sexualité sur les bancs de l’école, bien qu’inscrite dans la loi, ne va pas de soi

Sur le papier, tout semble opérationnel. Obligatoire à tous les niveaux de l’enseignement, l’éducation à la sexualité est présentée comme une part essentielle de « l’éducation à la santé et à la citoyenneté ». Elle n’est pourtant pas effective partout, et ne fait pas non plus – ou pas toujours – l’unanimité.

Ouvrir la réflexion

En arrière-plan de l’actuelle polémique sur la soi disant imposition dans les programmes de la « théorie du genre » (il ne s’agit en fait que d’ouvrir la réflexion sur le fait que le genre ne découle pas seulement de données biologiques), c’est la définition même de l’éducation à la sexualité qui est en ligne de mire.

Le développement de cet enseignement a suivi l’évolution des mœurs : introduite en 1973 dans les programmes par une circulaire du ministre Joseph Fontanet, l’éducation sexuelle s’est longtemps limitée aux aspects biologiques et reproductifs, accompagnés d’une incitation à « réfléchir sur ces sujets ».

En 1996, puis en 1998, sous les ministères de François Bayrou et de Claude Allègre, l’éducation sexuelle  est devenue « éducation à la sexualité », façon de l’élargir à d’autres dimensions que les connaissances physiologiques.

C’est la loi du 4 juillet 2001 sur l’interruption volontaire de grossesse et la contraception qui en fixe les modalités actuelles. Cette imbrication illustre la façon dont cet enseignement s’est imposé dans le système éducatif sans trop rencontrer d’obstacles : comme découlant naturellement des politiques de prévention des grossesses non désirées et des maladies sexuellement transmissibles.

Objectifs non tenus

Selon cette loi de 2001, « une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ». Mais son application repose en grande partie sur la motivation, variable, des équipes éducatives et des chefs d’établissements.

Les objectifs sont-ils tenus ? « Nous en sommes, loin, très loin », assure Marie-Pierre Martinet, secrétaire générale du Planning familial [dont je publierai bientôt ici l’interview, note de l’auteur].

« Quelques jeunes bénéficient au cours de leur scolarité d’une seule séance en 4ème ou 3ème, rarement les deux », soutient-elle. Aucune sanction n’est prévue en cas de non-application de la loi, et les moyens alloués sont « dérisoires ». Selon elle, cela « revient à une déclaration d’intention légalisée laissée au libre arbitre des acteurs de l’éducation nationale ».

Personnels volontaires

Un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), publié en février 2010, fait un constat similaire : « Au total, il semble que l’obligation légale soit très inégalement et partiellement appliquée », les initiatives se heurtant à « d’importantes difficultés matérielles ».

Les textes officiels admettent qu’à l’école primaire le nombre de trois séances annuelles doit être « compris plutôt comme un ordre de grandeur à respecter ». Mais au collège et au lycée, le chef d’établissement est censé fixer, pour chaque année scolaire, les modalités de ces séances, « inscrites dans l’horaire global annuel des élèves » et prises en charge par une équipe de personnels volontaires.

Ces derniers sont soit des professeurs, soit des personnels de santé, des assistants sociaux et des conseillers principaux d’éducation (CPE). Les professeurs de sciences de la vie et de la Terre (SVT) sont les plus engagés. Mais toutes les collaborations croisées sont encouragées.

Dans chaque établissement, l’éducation à la sexualité s’appuie sur un Comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC), dont les compétences vont de la formation aux premiers secours à l’éducation nutritionnelle et qui met en œuvre les interventions, fréquentes, de partenaires extérieurs [le prochain billet de cette série décrit une de ces interventions].

Apprentissage de l’altérité

Loin de se limiter à la transmission de connaissances biologiques, l’éducation à la sexualité comprend la prévention des maladies, celle des grossesses non désirées, la lutte contre les préjugés sexistes ou homophobes. Plus largement, il s’agit d’« un apprentissage de l’altérité, des règles sociales, des lois et des valeurs communes », précise la circulaire de 2003 en vigueur sur ces questions.

L’école intervient en ce domaine « en complément du rôle de premier plan joué par les familles », peut-on lire.

« Cette éducation qui se fonde sur les valeurs humanistes de tolérance et de liberté, du respect de soi et d’autrui, doit trouver sa place à l’école sans heurter les familles ou froisser les convictions de chacun, à la condition d’affirmer ces valeurs communes dans le respect des différentes manières de les vivre ».

Cette dernière phrase pour le moins alambiquée traduit la relative tension dans laquelle se trouve l’école, les familles, les politiques sur ces questions. Le lien entre intimité et citoyenneté ne va pas forcément de soi, et chaque nouvelle initiative en matière d’éducation à la sexualité appelle à le réinterroger.

Cette remise en jeu se traduit parfois en valse-hésitation, au gré des priorités politiques du moment.

Préjugés et propagande

Ainsi, le « Pass contraception » lancé par Ségolène Royal en Poitou-Charentes fin 2009, a été fustigé à l’époque par le ministère de l’éducation nationale… ce même ministère qui soutient aujourd’hui le projet assez similaire lancé par Jean-Paul Huchon en Ile-de-France, le 26 avril.

Décrié hier, loué aujourd’hui, ce « Pass » permet aux lycéens d’avoir accès à une contraception gratuite et anonyme. Tout en faisant savoir qu’il n’était pas demandeur, l’enseignement catholique n’a pas donné de consigne nationale sur ce « Pass, dont on a appris en juillet qu’il était adopté par deux lycées catholiques.

Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse de ce type de dispositif de prévention ou de tout autre aspect de l’actuelle éducation à la sexualité, intégristes ou puritains (qui ne se confondent pas forcément avec l’extrême droite, même si celle-ci est leur lieu d’accueil privilégié) s’en trouvent inévitablement « froissés » dans leurs convictions.

Rien d’étonnant lorsqu’on voit que, même à l’Assemblée nationale, la « lutte contre les préjugés homophobes » ne fait pas l’unanimité et que cette expression est considérée par certains courants – qui relèvent aujourd’hui la tête – comme relevant de la propagande éhontée, voire de la «subversion».

« Un seul père de famille… »

De ce point de vue, la neutralité de l’école n’est plus celle qu’exaltait Jules Ferry dans sa fameuse « Lettre aux instituteurs » du 17 novembre 1883. « Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire (…) », recommandait-il.

Les actuels détracteurs de l’éducation à la sexualité ne perdent pas une occasion de citer ce beau texte à l’appui de leurs revendications. Quoiqu’ils en disent, l’école, en fait, est toujours aussi « neutre », c’est-à-dire aussi consensuelle que possible.

Mais cette neutralité a des frontières différentes. Et, pas plus aujourd’hui qu’hier, le consensus ne peut englober les extrêmes. Ces extrêmes dont, à leur grande frustration, nos « réacs » font aujourd’hui partie. De même qu’à l’époque de Jules Ferry, la célébration à tous crins de la République ne devait pas ravir tout le monde…

Rembobiner le film ?

Pour prendre dans l’actualité récente un seul exemple, la marginalité était naguère du côté de la Gay Pride, elle est désormais du côté de ceux qui ne digèrent pas que cette manifestation puisse figurer dans un manuel destiné aux lycéens, en illustration de la problématique de l’orientation sexuelle.

Entre Jules Ferry et nous sont passés, notamment, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la Déclaration universelle des droits de l’homme, ses différents textes d’approfondissement, plusieurs mutations économiques et culturelles suivies d’une profonde révolution des mœurs.

Certains nostalgiques voudraient bien – au moins, pour les plus modérés, sur quelques dizaines d’années – rembobiner le film, mais c’est une revendication qui, fort heureusement, n’est pas, ou pas encore, à leur portée.

Même si, en la matière, rien n’est jamais définitivement acquis.

Le père de l’instruction publique se référait aussi à « cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères ». Renouer avec celle-ci pourrait être beaucoup plus conflictuel que notre actuelle éducation à la sexualité.

Luc Cédelle

A suivre

Un commentaire sur “Education sexuelle et théorie du genre (2) Ce qui est obligatoire reste aléatoire

  1. Cher Luc Cédelle,
    Je crains de vous faire encore de la peine : si j’ai bien compris, les médiocres et incohérents programmes Chatel de SVT servent de prétexte à un affrontement entre deux conceptions de l’ordre moral. Bel exemple du consensus profond qui rassemble sur la question des programmes, au-delà de leurs gesticulations et de leurs profession de foi, progressistes et réactionnaires.
    Cordialement,

Laisser un commentaire