Educnat contre reste du monde

Alexandre Nevski – S. Einsenstein -1938

(…) Alors qu’il croyait traiter le plus facile du plus facile d’un dossier réputé (à tort) consensuel, un ministre agrégé de philo, inverseur de manettes et créateur de postes, défenseur du temps long et adepte de la progressivité, se prend en pleine figure une sorte d’infini négatif du système. De dignes professeurs des écoles, passés de la déprime à la protestation, lui renvoient qu’il se heurte d’abord à ses propres erreurs et que l’éducation ne se gouverne pas seulement par décisions descendantes. Mais bien malin qui, de leurs critiques enchevêtrées, parviendrait à déduire un projet alternatif capable de recueillir leur approbation. De sympathiques syndicalistes que l’on voyait fort accablés un an auparavant s’adressent soudain à l’autorité politique sur le ton intraitable du créancier réclamant son dû sous huitaine. (…)

La suite (et le début) sont ici, sur le site qui m’a fait l’honneur de m’accueillir pour ce « billet du blogueur » dont je me demande parfois si je n’aurais pas dû le faire plus virulent (mais j’ai lu qu’André Fontaine, ancien directeur du Monde récemment disparu, recommandait aux journalistes de « laisser passer l’émotion »…).

L.C.

PS. Plusieurs personnes m’ayant signalé que le lien ne fonctionnait pas, je l’ai renouvelé.

La machine infernale du « non à tout »

Tout indique que la « crise des rythmes » scolaires n’est pas terminée. Et tout indique qu’elle n’était que la partie la plus immédiatement apparente d’un mal beaucoup plus profond.

Non seulement la protestation contre le décret sur les rythmes scolaires se poursuit à Paris mais elle touche désormais l’ensemble du territoire. En prévision de la grève nationale du mardi 12 février, circulent les annonces d’écoles fermées et de hauts pourcentages de grévistes.

« On ne fait pas deux fois de suite 80 % de grévistes », commentait, il y a quelques jours, un bon connaisseur du syndicalisme enseignant. Pourtant, l’épisode le plus récent, la manifestation parisienne du samedi 2 février n’a pas attesté d’un essoufflement.

Encouragés, les militants du « contre » sont partout à l’œuvre et trouvent un terrain favorable. « Une interprétation optimiste, écrivais-je dans mon premier billet sur cette affaire, voudrait que ce ne soit qu’un épisode un peu boiteux et non un signe annonciateur ». L’aiguille du sismographe tend plutôt à se stabiliser sur ce dernier terme. Ce qui s’annonce pour l’instant, dans un processus long et non dans un épisode anecdotique, est une radicalisation, qui commence à déborder le cadre des rythmes scolaires.

Le débat s’envenime, les esprits s’échauffent. Et un arc syndical s’est formé pour continuer à les échauffer et pour s’engager vers une épreuve de force. La principale organisation impliquée est le Snuipp-FSU, fort de sa majorité relative dans l’enseignement primaire, allié pour l’occasion avec FO, Sud et la CGT, qui contribuent à durcir le ton et les mots d’ordre.

Réalité paradoxale : le syndicat du primaire de la FSU, qui a fait du refus de l’immobilisme et de la proximité avec les chercheurs un élément de son identité est aujourd’hui le pivot d’une mobilisation anti-réforme.

Certes, la position officielle et nationale de ce syndicat n’est pas l’hostilité au projet de loi d’orientation : il dénonce dans le décret sur les rythmes « un bricolage », réclame que la concertation soit entièrement reprise sur ce sujet et que cette réforme soit reportée à 2014. Mais cette position marque une rupture cinglante avec l’actuel gouvernement : le ministre incarnant les « 60 000 postes », au moment même où il engage son action, est mis en difficulté par ceux-là mêmes censés en bénéficier. Les artisans de l’ex-RGPP, empêchés de poursuivre sur la voie du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite, doivent littéralement s’en torboyauter.

D’autant que le Rubicon franchi par le Snuipp avec son appel à la grève a donné le signal d’une ruée.

La rhétorique du refus

Du refus ponctuel d’un décret, certains passent au refus global de toute la démarche de « refondation » proposée par Vincent Peillon. Ça et là, des structures départementales entières du Snuipp basculent dans un discours d’opposition globale. Parallèlement, des syndicats SE-UNSA sont localement cosignataires d’appels en contradiction complète avec la ligne nationale de leur organisation.

Sans mystère et sans théorie du complot, il n’est d’ailleurs pas sorcier d’y voir la patte  de l’extrême gauche, présente dans les différents appareils syndicaux du monde enseignant et lancée avec enthousiasme, comme c’était prévisible, dans la dénonciation de « la même politique » menée, selon elle, par François Hollande et Nicolas Sarkozy.

Ce qui compte le plus, cependant, n’est pas que tel ou tel appareil soit pris en main ou influencé par tel ou tel courant radical. Cela relève d’une banalité totale et qui n’a d’ailleurs pas que des aspects négatifs : l’investissement de militants d’extrême gauche dans l’action syndicale est aussi leur façon de s’insérer dans le jeu démocratique.

En revanche, l’essentiel dans le processus en cours est de l’ordre du discours, de l’action sur les consciences et de la création d’une ambiance idéologique : c’est la fabrication d’une rhétorique du refus et la façon dont ses concepts, ses « éléments de langage » s’imposent sur le terrain, dans l’opinion des enseignants.

Exemple de concept ravageur : de 1998 à 2002, l’expression « lycée light » avait tué tout espoir de réaménagement des programmes et des horaires des lycéens. Aujourd’hui, certains s’activent au martelage d’un discours de déconsidération et de refus global de la « réforme Peillon ». Ce martelage est une fin en soi : il a justement pour but de banaliser, de rendre socialement acceptable un rejet qui, à l’extérieur du  milieu enseignant, reste aujourd’hui de l’ordre de l’incompréhensible.

Des mots clés comme « abrogation » – apparu sur la banderole de tête de la manifestation parisienne du 2 février – permettent de parcourir une partie du chemin. Si la crise s’accentue, il faudra, par exemple, guetter les premières occurrences de « coordination », mot fétiche de la gauche radicale. Autre mot clé et grosse ficelle à prévoir : « répression ». Que, d’aventure, des militants occupant un local municipal soient évacués par la police et le mot serait annexé au vocabulaire de la crise des rythmes.

Une fois lancé, ce type de processus peut aller très vite.

Lisez par exemple ce billet de blog paru sur la plate-forme de Médiapart : l’interview d’une directrice d’école parisienne qui, à la différence des « dindons », se présente à découvert. Un élégant exemple de glissement de la critique à l’hypercritique puis à la perte de toute mesure. L’ennemi y est clairement la refondation, désignée comme « une entourloupe », et le décret Peillon est « la violence de trop » s’exerçant contre les enseignants et les enfants. Le tout sans oublier la relance d’une rumeur qui plaît beaucoup et n’en est pas moins fausse – « savez-vous que les enseignants sont payés sur 10 mois et non sur 12 » ? – ni le couplet discrètement réac sur le fait que les enfants doivent savoir nager, se servir d’un ordinateur ou apprendre la sécurité routière au détriment des «fondements »

A la faveur de la tension actuelle, on observe aussi que le mot « privatisation » refleurit : certains prédicateurs de la gauchosphère assurent que le but stratégique de Vincent Peillon, poursuivant en cela l’œuvre entreprise par ses prédécesseurs, est ni plus ni moins que la privatisation de l’Education nationale.

Les « tea party » de l’éducation

Ce discours façon « tea party » de gauche n’est pas en soi une nouveauté. Il est  présent à l’état latent dans le débat sur l’éducation : ainsi en 2008, sous le ministère Darcos, la réduction (réelle) de la scolarisation à deux ans avait amené, sur les tracts des « nuits des écoles » (tiens, cela aussi est déjà de retour) à dénoncer le (faux) projet gouvernemental de « suppression de l’école maternelle ».

D’autres légendes resurgissent : revoici, sur un forum d’enseignants, la manipulatoire citation d’un article d’une revue publiée par l’OCDE en 1996 et prêtant (faussement) à cette organisation internationale le projet de faire baisser la qualité des services publics.

Sur Twitter, une enseignante du secondaire ressort une autre rumeur de ces dernières années, celle du « bac local », projet – évidemment faux lui aussi – désormais attribué à Vincent Peillon. Succès assuré dans d’éventuelles AG de lycéens : « ils » veulent faire un bac spécial Seine St-Denis ! Pour que ce type de rumeur recommence à circuler, il faut que deux conditions soient réunies : des personnes assez cyniques pour choisir de la relancer et un public désireux d’y croire.

A ces micro-signes qui s’accumulent et vont tous dans le même sens font écho des messages plus classiques, dont font partie les appels syndicaux ou intersyndicaux à la grève et aux manifestations. Je vais en citer ici deux. Non pour leur importance mais en raison de leur charge rhétorique exemplaire.

Le premier est un appel intersyndical diffusé dans un arrondissement parisien pour la manifestation du 2 février. Le deuxième un appel intersyndical départemental lancé dans le département de l’Aude pour la grève du 12.

Commençons par le texte parisien, signé par le Snuipp-FSU, FO, Sud-Education, la CGT (Educ’action) mais aussi, au moins dans l’arrondissement où il a été diffusé, par le SE-UNSA. Intitulé « Réforme des rythmes scolaires : c’est non ! », c’est un habile mélange de revendications et d’angles critiques « réalistes » avec des thèmes qui laissent pressentir une contestation sans fin.

Il s’indigne notamment que l’article 40 du projet de loi d’orientation « propose d’en appeler à des associations, des fondations ou encore des bénévoles, pour assurer le périscolaire ». Le rédacteur syndical ne prend même pas la précaution de rappeler l’apport des associations et mouvements d’éducation populaire qui interviennent déjà massivement dans le périscolaire. Son but est de frapper l’imagination et, pour cela, toute intervention du privé doit être une « privatisation ».

Qu’importe que la Fondation de France, par exemple, soit impliquée dans l’appui à une quantité de projets d’intérêt public. Possibilité parmi d’autres, ce genre de financement est présenté de façon à suggérer que le grand méchant capital privé va se substituer au budget de l’éducation. Inusable technique d’agitation aujourd’hui réactivée…

Autre phrase prometteuse d’arguties sans fin :

« Le service public d’Education est un service public national dont la mission doit rester totalement indépendante des mairies. »

Les auteurs savent bien que, même si l’école primaire en France est historiquement l’école « communale », ce ne sont pas les mairies qui définissent les « missions » de l’Education nationale. Ni aujourd’hui, ni demain. Ils le savent mais leur priorité est d’empoisonner toute perspective de développement des coopérations englobant parents, associations et collectivités territoriales dans un effort commun sous la responsabilité de l’Education nationale.

Oublié, l’Appel de Bobigny ?

Qu’importe si, en France, les collectivités territoriales assument déjà 25 % de la dépense globale d’éducation. Qu’importe si, dans le cas très spécial de Paris, la municipalité intervient directement sur 3 heures 30 du temps scolaire hebdomadaire avec le système des PVP (professeurs de la ville de Paris) et si les mêmes syndicats s’insurgeraient contre la moindre menace sur ce particularisme. Qu’importe si cela n’aboutit en rien à une « municipalisation » du primaire parisien qui reste du ressort  de l’Education nationale. Qu’importe si les projets impliquant les collectivités territoriales ne portent que sur le périscolaire. Si la décentralisation, grande réforme de gauche, a permis des avancées historiques, si les différents échelons territoriaux sont autant de leviers d’action et de financements possibles en faveur de l’éducation…

L’important est de dire non. D’installer dans les esprits, contre tout pragmatisme, que l’Education nationale est l’affaire exclusive de l’Etat central… à condition que les décisions de celui-ci soient approuvées par le corps enseignant, représenté par ses syndicats.

Oublié l’Appel de Bobigny, pourtant signé par le Snipp-FSU et par le SE-UNSA ! Oubliée cette longue et patiente démarche, lancée en mars 2009, de recherche du « point ultime d’avancée commune de tous les acteurs de l’éducation », qui proposait notamment « la reconnaissance nationale par la loi des projets éducatifs locaux » et « de territoire ».

Toute implication des collectivités appelle des architectures institutionnelles et des équilibres un peu compliqués où l’Education nationale, sans abandonner sa prééminence, doit évidemment consentir à certains compromis. Le fait de lancer un « bas-les-pattes ! » général compromet l’élaboration de ce type d’équilibre, d’avance  condamné sous le vocable de « territorialisation »…

« L’école des territoires, on n’en veut pas », scandaient les manifestants de Sud-Education le 2 février à Paris.

Ce dernier thème permet aussi un branchement très efficace avec celui de l’inégalité des moyens entre territoires riches et pauvres : un vrai problème, réclamant la mise en place d’un système de péréquation (Meirieu en avait proposé un en 1999 dans le cadre de « l’Ecole du XXIème siècle » mais s’était fait retoquer). Mais de la sorte, la fin des inégalités pourra toujours être commodément présentée comme un préalable indispensable à toute action.

Dans l’argumentaire anti-Peillon, l’idée que l’intervention des collectivités territoriales sur le périscolaire va nécessairement « aggraver les inégalités » est passée. Le manifestant de base la possède déjà et n’en démordra pas car quelle posture pourrait être plus généreuse que celle consistant à s’insurger contre les inégalités ? Surtout lorsque l’on fait soi-même partie d’une commune favorisée…

La bataille est à peine entamée que le slogan a déjà gagné. Car le slogan permet de dire non. Le contre-slogan, voulant expliquer qu’une mission nationale d’éducation définit un cahier des charges dont la mise en œuvre présentera forcément quelques différences selon les territoires concernés est trop compliqué.

« Abandon immédiat et définitif »

Le slogan a déjà gagné aussi dans un autre texte. C’est cette fois un appel intersyndical départemental, dans l’Aude, pour la grève du mardi 12 février. Ses signataires sont FO, le Snuipp, Sud-Education et la CGT-Éduc’action. Outre l’argumentaire habituel contre le décret sur les rythmes, beaucoup de points communs avec le texte parisien. Contestation de tout projet éducatif territorial, dont la mise en œuvre, est-il écrit, pourrait « même déterminer une partie de nos obligations de service ». Le projet de loi de refondation est directement visé par l’appel à la grève, sur le même thème : il « porte en germe la territorialisation du service public d’éducation ».

Variante budgétaire osée, faisant désormais partie de l’argumentaire protestataire : « la programmation budgétaire prévue pour les 5 ans à venir apparaît bien insuffisante », écrivent les auteurs de l’appel pour qui, visiblement, le manque d’argent public relève exclusivement de la pure mythologie libérale-patronale. On peut noter aussi, dans la longue liste des motifs de grève, la revendication d’une « réduction du temps de service ».

Mais l’essentiel est dans le titre : « Appel contre le projet de loi PEILLON et le décret concernant les rythmes scolaires ». Ainsi que dans la conclusion : « En l’état, nous nous prononçons pour l’abandon immédiat et définitif du projet de loi PEILLON et du décret sur les rythmes scolaires, qui en est la première déclinaison. »

Juste avant cette dernière phrase, les signataires réaffirment « qu’une réforme touchant à l’École ne peut se faire contre les enseignants ni sans eux ». Sur ce point, ils n’ont pas tort. Et c’est même tout le problème : s’il doit y avoir identification durable entre « les enseignants » et les auteurs de ce type d’appels alors… il faut sérieusement envisager qu’aucune réforme, en effet, ne soit possible.

La machine infernale du « non à tout » est bel et bien lancée. Il y a seulement une semaine, j’aurais laissé un point d’interrogation. Il y a seulement quelques heures, je n’aurais pas imaginé qu’elle ait déjà accompli autant de chemin et gagné autant de complaisances parfois surprenantes, comme si le seul moyen d’être épargné était de se draper préventivement de « résistance » en surjouant l’indignation contre « Peillon ».

Jusqu’où ira-t-elle ?

Mystère. L’emballement actuel sera peut-être un faux départ. Tout peut encore se calmer, mais ce qui s’est déjà passé donne une vertigineuse petite idée du problème. La machine à dire non existe, elle a du carburant et beaucoup de candidats pilotes qui, toujours pour des motifs contradictoires, voudraient bien rejouer avec Vincent Peillon la contestation du ministre Claude Allègre. La différence des personnalités est largement à l’avantage de l’actuel ministre mais l’exaspération qui travaille le corps enseignant et dont l’affaire imprévue des rythmes est un indicateur joue dans le sens des promoteurs de dynamiques définitivement paralysantes.

Luc Cédelle

Les larmes d’une instit et comment en rendre compte

Une « instit » parisienne est venue me demander à l’accueil vendredi dernier au journal, comme ça, sans rendez-vous. En pleurs dès ses premiers mots. Ne pouvant contenir son émotion. Jugeant insultante l’hostilité des médias envers le mouvement des professeurs des écoles parisiens. Se sentant blessée par le reproche de « corporatisme », formulé l’avant-veille avec la vigueur de plume et l’impact propres à un éditorial du Monde.

Mais même mon billet de blog sur « la grève troublante », qu’elle avait lu aussi et où je n’utilisais pas cette notion, l’avait déjà suffisamment heurtée pour qu’elle se trouve, assurait-elle, « incapable de le relire ».

Le syndrome, donc, du couteau dans le dos : très déstabilisant quand il ne relève plus de la rhétorique militante et que vous avez, là, en face, la personne qui vous dit qu’elle saigne et que vous y êtes pour quelque chose, en s’exprimant avec une émotion qui vous semble évidemment relever de la démesure mais dont vous ne pouvez nier la force ni la réalité.

Oui, la presse peut être perçue comme violente, même lorsqu’elle ne s’attaque nullement à des individus, même si elle n’emploie que le seul vocabulaire du débat d’idées sur un fait d’actualité. Sauf à ne jamais avoir d’avis (ou à toujours le dissimuler), il n’est pas du tout évident que cet impact émotionnel soit évitable. La recette pour mettre les points sur les i sans vexer personne n’a pas encore été inventée.

Ce qu’elle n’est pas et ne veut pas être

Les critiques ou les attaques portées (du point de vue du récepteur les critiques sont toujours des attaques) sont perçues comme une violence symbolique, avec une intensité variable selon que leur cible a le cuir tanné ou, ce qui était le cas, la chair à vif. Les catégories et qualificatifs politiques sont souvent chargés de connotations morales et aucun gréviste, par exemple, ne peut se réjouir d’être partie prenante d’une grève jugée « troublante » ou d’une communauté de travail taxée de « corporatisme ».

Mon interlocutrice se sentait donc atteinte dans son identité, dans ses choix de vie, désignée comme précisément ce qu’elle n’est pas et ce qu’elle ne veut être en aucun cas. J’ai tenté de ramener les choses à ce qui me semblait et me semble toujours être leur juste proportion : un désaccord, exprimé sur la place publique et avec la vigueur de ton qui caractérise les débats publics. Un désaccord en principe humainement supportable et dont on devrait pouvoir débattre.

Un désaccord ne mettant pas particulièrement en cause sa dignité professionnelle. Ni même d’ailleurs, celle de ses collègues (on peut être excellent professionnel et néanmoins engagé dans une démarche que certains jugeraient « corporatiste »).

Un désaccord, en l’espèce, entre un mouvement de protestation d’enseignants et la plupart des grands médias. Un désaccord cristallisé sur un événement précis mais venant réactiver une vieille thématique : « corporatisme » est un terme usuel lorsqu’une action syndicale est visée par la critique. Quand elles polémiquent entre elles, les différentes tendances syndicales se renvoient d’ailleurs assez banalement cette accusation.

Nous avons parlé longuement.

Chaque fois que mon interlocutrice évoquait un « dénigrement » systématique des enseignants – par la presse, l’opinion, les braves gens, etc. – j’ai tenté, évidemment sans parvenir à la convaincre, de présenter les nombreux éléments qui vont à l’encontre de cette thèse victimaire. A commencer par le fait que toutes les enquêtes d’opinion des quinze dernières années, à l’inverse, confirment invariablement que l’image de « l’instit » (comme l’ancienne série télévisée du même nom) continue de faire partie intégrante d’une tendre mythologie nationale.

Ainsi, un sondage – que je viens de retrouver – sur « l’image des enseignants auprès des Français », réalisé par CSA en juin 2005 pour Le Monde de l’Education et Télérama, donnait des résultats spectaculairement positifs pour les enseignants du primaire. Les sondés jugeaient à 88% qu’ils « aiment enseigner », à 87% qu’ils « aiment leur métier », à 83% qu’ils « savent expliquer et éveiller la curiosité des élèves », à 65% qu’ils « écoutent suffisamment les élèves », à 63% qu’ils « s’intéressent à tous les élèves y compris à ceux qui sont en difficulté » et à 60% qu’ils « se préoccupent de la situation personnelle et familiale des élèves ».

On connaît pire impopularité… Rien  n’est venu indiquer, depuis, que l’opinion aurait basculé. Durant la présidence de Nicolas Sarkozy, seule la presse franchement engagée à droite s’est emportée contre les trois ou quatre journées de grève nationale dans l’éducation que comptait chaque année scolaire.

Ce qui est favorable est oublié

La majorité alors au pouvoir subissait une usure politique croissante à mesure que son choix de reconduire de budget en budget la réduction des postes d’enseignants la plaçait un peu plus en plus en porte-à-faux avec l’opinion. Elle avait le sentiment lancinant d’être aux prises sur ce sujet avec des médias de tonalité défavorable.

Aussi attractive soit-elle pour des personnels éreintés, l’idée d’une hostilité médiatique latente à l’encontre du monde enseignant en général comme des professeurs des écoles en particulier est donc fausse. Combien, au contraire, d’articles, de reportages télévisés, de documentaires et même de films de fiction pour souligner la noblesse de ce métier et l’aggravation de la difficulté à l’exercer ? Combien d’exaltations des « hussards noirs », quitte à donner dans l’anachronisme nostalgique ou l’exagération ?

Il est saisissant de voir à quel point ce qui est favorable est aussitôt oublié, alors que ce qui ne l’est pas motive une inscription immédiate dans les annales de la persécution. Qui, ces derniers jours, s’est souvenu, par exemple, de l’édito du Monde du 12 juillet dernier, intitulé « la France doit investir dans ses enseignants ». Commençant par souligner que notre pays « sous-paye ses enseignants », ce texte concluait qu’il « faut des professeurs bien formés, payés et considérés » et que ceci « ne relève pas de la dépense publique mais de l’investissement dans l’avenir ».

A mesure que l’échange devenait plus posé, mon interlocutrice a repris, et développé sur la foi de son expérience, toute une série d’arguments brandis par les opposants au projet de réforme des rythmes scolaires.

Certains ne m’ont pas plus convaincu qu’auparavant. Ainsi, comme une proportion indéterminée de ses collègues, et pour mieux démontrer son désintéressement, elle déclarait sa préférence envers les cours du samedi matin plutôt que du mercredi : mais cette préférence est minoritaire et donc sans portée pratique dans l’actuel différend. La question des cours du samedi matin, sauf dérogation locale toujours possible, est réglée dans la mesure où ni une majorité d’enseignants ni une majorité de parents n’en veulent. Il est donc exclu qu’un politique se fasse le relais de leur rétablissement. En parler, ai-je tenté de faire valoir, est donc vain. De même que sont aujourd’hui vaines, sur ce dossier, toutes les propositions d’enseignants qui ne feraient pas clairement l’objet d’un consensus auprès de leurs collègues. Le caractère désordonné, voire contradictoire, des mises en cause du projet Peillon et l’incapacité des contestataires à proposer une alternative susceptible d’emporter les suffrages ont contribué à dévaloriser leur action.

Des arguments recevables et préoccupants

En revanche, d’autres arguments – déjà avancés ça et là à certaines occasions où le débat sur les rythmes se faisait plus technique – sont recevables, préoccupants et sont aussi très largement partagés par les enseignants du primaire. Même si l’on peut penser (question d’analyse et de point de vue) qu’ils ne justifiaient pas le recours à la grève et que leur portée a été amoindrie par le positionnement syndical consistant, toutes tendances confondues, à réclamer d’abord des compensations financières.

L’abaissement prévu des normes d’encadrement périscolaires est un angle critique tout à fait légitime, même si le gouvernement plaide que les normes actuelles n’étaient pas respectées. Pour répondre aux objections de l’Association des maires de France sur le coût de la réforme, le seuil d’encadrement passerait d’un adulte pour 10 enfants de moins de six ans à un adulte pour 14, et de un pour 14 à un pour 18 au-delà de six ans. Difficile de présenter cela comme une amélioration en faveur de « l’intérêt de l’enfant ».

L’argument le plus fort, dans le contexte parisien, porte sur la longueur exceptionnelle (2 heures 45) de la pause méridienne envisagée et sur les conditions de sa mise en œuvre. C’est un point sur lequel jusqu’à présent, les réponses apportées ne sont pas ou pas encore de nature à rassurer enseignants ou parents. C’est un sujet sérieux, tangible, rationnel sur lequel la balle est dans le camp de la mairie de Paris.

Il paraît très plausible qu’à conditions inchangées, cette pause serait problématique et risquerait de ressembler à une garderie explosive. A ce jour, les instits parisiens pensent que ces conditions seront inchangées, la mairie assure qu’elles seront différentes. Le débat ne peut en rester à ce point mort.

Une des pistes de solutions possibles pourrait (simple hypothèse, je n’ai pas de « tuyau » particulier à ce sujet) se trouver dans de nouvelles modalités de recours aux professeurs de la ville de Paris (PVP) qui, spécificité de la capitale, assurent, sur trois heures trente par semaine dans l’emploi du temps scolaire, les enseignements d’éducation physique et sportive, d’éducation musicale et d’arts plastiques.

J’en parle un peu avec mon interlocutrice, mais sans oser forcer : le bruit court, y compris en milieu syndical, qu’une partie des enseignants des écoles parisiennes bénéficieraient ainsi, de manière informelle, d’un allègement de fait sur leurs obligations de service. Elle m’assure que, pour ce qui la concerne et partout où elle a exercé à Paris jusqu’à présent, ce n’est pas ou ce n’est plus le cas, les enseignants en profitant pour faire des demi-groupes ou du soutien et donc effectuant leur horaire entier.

J’ai vu passer des échanges aigres-doux sur Twitter entre ceux qui dénient formellement l’existence d’un quelconque avantage irrégulier et d’autres tentés d’ironiser à ce sujet. C’est une question qui a été abordée par l’Inspection générale mais dans un rapport datant de 2004. Elle mériterait une véritable enquête de terrain pour savoir où l’on en est…

Les chaînons manquants de la faisabilité

Quoiqu’il en soit, le fait que de telles questions restent aujourd’hui totalement ouvertes peut s’interpréter de deux façons : positivement, en soulignant qu’il reste un espace pour bâtir un projet et éviter que le pire annoncé ne se réalise ; négativement, en témoignant d’une impréparation de nature à nourrir toutes les inquiétudes. Ces inquiétudes sur l’allongement de la pause méridienne, ne sont pas réservées à la capitale. Il y a beaucoup d’endroits où même deux heures paraissent problématiques si elles ne peuvent comporter de repos ou de plages de calme.

Les quelque vingt ans de débats antérieurs sur les rythmes scolaires, le consensus qui semblait bien établi au terme de la Conférence nationale réunie sur ce thème par Luc Chatel, la concertation menée cet été par un groupe de travail dans le cadre de la « refondation »… Tout cela laissait penser qu’au chapitre de la préparation, aussi bien technique que celle des esprits, l’essentiel avait été fait pour assurer le retour à la semaine de quatre jours et demi.

L’idée affleure aujourd’hui que, malgré le travail accompli, ou à cause de défauts dans la méthode utilisée pour l’accomplir, il y avait bien des « chaînons manquants » dans la concertation et que la case « faisabilité » aurait été négligée. C’est ce que suggère notamment un article très informé du Café pédagogique qui critique la démarche suivie, tandis que différentes personnes proches du dossier confient en « off » que « l’affaire a été bien mal goupillée ». Autrement dit, le ministre de l’Education et son équipe auraient une large part de responsabilité dans la mauvaise tournure prise par les événements.

Cela ne change rien à la réalité de certains réflexes qui, en milieu enseignant, ne relèvent pas de l’objection constructive mais du surgissement habituel, terriblement habituel, de ce qu’on pourrait appeler les « forces du non ». Ces réflexes qui, à des degrés divers, ont déclenché cette réprobation médiatique majoritaire… qui a en retour amené une « instit » parisienne  à venir se présenter à l’accueil du journal Le Monde, sans rendez-vous, armée de sa seule souffrance, d’un nom pioché sur un blog et d’une brassée d’arguments.

Même si je l’ai écoutée avec attention et si ses propos me resteront en mémoire, rien n’est écrit ici spécialement pour lui plaire. J’espère néanmoins qu’elle y sentira une prise en compte de sa démarche, qu’elle n’y puisera pas un surcroît de souffrance et, surtout, qu’elle y percevra le respect de son honneur professionnel.

D’autres billets suivront ici sur ce même thème de la « crise des rythmes » dont l’issue, insensiblement, est devenue cruciale pour le reste du processus de « refondation ». J’y ferai notamment écho à différents points de vue d’enseignants et d’observateurs. Sans forcément prendre des gants.

Luc Cédelle

Primaire : la grève troublante

1906, la grève des mineurs

Quel que soit le bout par lequel on prend cette affaire de grève dans le primaire contre la réforme Peillon des rythmes scolaires, elle est troublante. Qu’on le veuille ou non, elle pose à nouveau, de manière caricaturale, la question centrale de la capacité d’évolution du système et son caractère gouvernable… ou non.

Or, cette question ne se pose plus dans les mêmes termes qu’il y a dix, quinze ou vingt ans. L’alliage de la mondialisation, du comparatisme éducatif, de la révolution numérique, de l’affaiblissement de l’autorité politique et de la montée des exigences consuméristes rend ce système de plus en plus friable.

A ces phénomènes transnationaux s’ajoutent des facteurs plus spécifiquement français: les effets délétères de trente ans de chômage de masse et de précarité croissante, l’usure et le découragement de nos meilleurs fonctionnaires (qui, en recherche d’efficacité au sein même du système, s’investissent avec énergie), les frustrations accumulées de tous ceux qui, à l’intérieur et à l’extérieur, veulent croire en une possible régénération de l’Education nationale…

Mordre la poussière

Cette situation est encore alourdie par une configuration politique singulière, où les forces économiques dominantes veulent littéralement faire mordre la poussière à une gauche de gouvernement qui a eu l’impudence de prétendre surtaxer momentanément les riches. Marqué par une convergence UMP-FN, ce contexte pèse sur le programme  de politique éducative de cette droite « durcie ».

Sur l’éducation, la droite n’est plus ce qu’elle était. Inutile d’attendre d’elle qu’un autre Xavier Darcos vienne – tout en prenant, certes, des mesures désagréables pour la gauche enseignante – proclamer son attachement « viscéral » à l’école publique.

D’attachement, il n’est plus tellement question. L’heure est même, de ce côté-ci de l’échiquier politique, à se détacher de plus en plus nettement des principes anciens. Le programme éducation qui, au sein de l’opposition, tient la corde est grosso modo celui de la motion majoritaire à l’UMP : celle de la « Droite forte ». Ce programme annonce clairement la couleur, et même en tenant compte des compromis possibles avec d’autres tendances, c’est une couleur qui tranche.

Est-il nécessaire d’en rappeler les grandes lignes ?

Relance de la diminution des postes. Eclatement du système scolaire actuel par la mise en œuvre, sous diverses modalités possibles, du principe libéral du « chèque éducation » (une somme est allouée directement ou indirectement à chaque famille pour l’éducation d’un enfant, libre à elle de dépenser cette somme dans l’établissement public ou privé de son choix). Interdiction de la grève des enseignants, etc.

Atmosphère idéologique

Inutile de poursuivre. Mais inutile, aussi, d’invoquer l’écart entre les proclamations politiques tactiques et leur réalisation. Dans un scénario de future alternance politique qui n’a rien de fatal mais rien d’invraisemblable non plus, cet écart existerait mais l’essentiel – la fin du système public tel que nous le connaissons – serait cette fois réalisable.

Le facteur qui conditionne la faisabilité d’une telle politique est l’atmosphère idéologique. De ce point de vue, les détracteurs de l’école publique n’ont cessé ces dernières années de marquer des points : à la faveur, notamment, de l’érosion continue des résultats français dans les enquêtes internationales, l’idée s’est installée, et progresse dans tous les secteurs de l’opinion, y compris l’électorat de gauche, que notre système scolaire public étatique remplit de moins en moins bien ses missions et qu’il ne « bougera », décidément, jamais. La première partie relève du constat et la seconde de la conviction mais le chemin de l’une à l’autre est vite parcouru.

La critique, ou plutôt la condamnation, de cette supposée « Armée rouge » à la française, blindée dans son immobilisme, est bien sûr une idée ancienne et un « marqueur » traditionnel de droite, mais elle est à la fois en phase de radicalisation et d’expansion.

Pour avoir un aperçu de la radicalisation, il suffit de sortir de l’entre-soi « Ed.nat. » et de faire un tour, par exemple, du côté de la droite (donc pas « extrême ») qui s’exprime dans les réseaux sociaux. Les fonctionnaires y sont ouvertement traités de bouches inutiles et les syndicats  indistinctement désignés comme ennemis, (et pas comme « parties prenantes du nécessaire dialogue social »). L’aspiration au grand coup de balai libéral-poujadiste s’y affirme désormais sans  retenue.

Dérégulation radicale

Cette perception négative avance dans d’autres milieux, au même rythme que la fonte de la banquise et avec les mêmes accélérations possibles. Chaque fois qu’un électeur de gauche, partisan de l’école publique et défenseur de la mixité sociale explique qu’il se refuse à laisser son gamin aller au collège du coin, parce que « quand même »… on a beau avoir des principes, on ne veut pas risquer de faire du mal à ses enfants. Chaque fois – comme cela est mentionné dans mon interview du sociologue Benjamin Moignard (voir les deux billets précédents) – qu’un enseignant du public décide, au vu de sa propre expérience quotidienne, de mettre ses enfants dans le privé.

Ce ne sont pas que des décisions individuelles, ce sont des décisions qui, additionnées les unes aux autres, dessinent une tendance.

Si la refondation « Peillon » venait à échouer, il est envisageable que notre système scolaire public d’Etat ne se relèverait pas de ce deuxième échec historique après le fantastique et désolant ratage que fut, il y a quinze ans, le ministère Allègre. Aucune force politique ou syndicale – si ce n’est les syndicats d’enseignants alors acculés au rôle de Canuts de l’éducation – ne serait plus de taille à contrer une dérégulation radicale. Après tout, une société a mille façons d’instruire et d’éduquer ses enfants, une « Education nationale » telle que nous la connaissons jusqu’à présent, n’étant qu’une variante parmi d’autres…

Oui, mais la grève ? Quel rapport avec la grève de ce mardi 22 janvier à Paris ? Et est-ce bien raisonnable, à propos d’une simple grève, d’agiter ainsi l’épouvantail libéral-autoritaire et la fin possible d’un certain monde enseignant ? Cette grève – assurent ses partisans – n’a pas été décidée pour planter un couteau dans le dos de la « refondation »… Au contraire, ce serait en quelque sorte pour la sauver, pour la remettre sur les bons rails, pour faire apparaître, faute d’avoir pu le faire autrement, les erreurs commises et pour éviter au ministre de s’y enferrer…

Un écosystème politique et culturel

Un nouvel avatar, en somme, de la bonne vieille logique du « mouvement social » sans lequel aucune politique progressiste (continuons dans les vieux mots) ne pourrait être menée au niveau gouvernemental… La grève, comme d’autres formes de protestation, s’inscrirait ainsi dans le jeu normal d’un dialogue social sain, poursuivi de manière un peu énergique mais nécessaire. C’est là une vision qui « fonctionne » relativement bien si l’on se place à l’intérieur du sérail de l’Education nationale, c’est-à-dire dans un écosystème politique, social et culturel où François Hollande aurait été élu à plus de 60 %, et où la récente « manif pour tous » n’aurait réuni que 35 000 personnes à Paris.

Mais si l’on fait un pas de côté, que voit-on ?

On voit, d’abord, même si un « collectif » s’est placé médiatiquement sur ce terrain avant eux, des syndicats d’enseignants. Respectables – n’en déplaise à la droite décomplexée – et redoutables par leur aptitude légendaire à se neutraliser mutuellement de manière à rendre impossible dans l’Education nationale tout ce qui semble couler de source et ne pose aucun problème ailleurs : le fait, par exemple, qu’un directeur dirige, qu’un travail soit évaluable en fonction de critères préalablement définis d’un commun accord ou qu’un débutant ne soit pas nommé sur le poste le plus difficile. Accordons-leur que sur ce dernier point, les syndicats ne sont pas les premiers responsables et qu’ils ne sont passibles que du reproche de  complicité prolongée. Concédons aussi qu’ils ont sur beaucoup de sujets importants des positions différentes, si bien que toute mise en cause globale « des » syndicats expose au crime intellectuel de simplification abusive.

Le paradoxe voyant

Cela dit, on se rappelle très bien qu’ils ont été, ces syndicats, continuellement bafoués pendant les dernières années du quinquennat Sarkozy, ayant multiplié grèves, protestations, avertissements solennels, manifestations et journées d’action sans jamais obtenir le moindre fléchissement dans la politique de réduction des postes. On voit que ces syndicats, littéralement sauvés en mai dernier par une issue électorale qui leur a épargné bien des épreuves, se mettent soudain à parler fort et sur un ton d’exigence (« le compte n’y est pas ! ») à un ministre incarnant la priorité budgétaire accordée à l’éducation. Priorité réaffirmée contre vents et marées et alors même que l’opposition crie au suicide économique et à la gabegie.

C’est la première chose, ce paradoxe, que n’importe qui voit à condition de ne pas limiter son champ de vision à l’écosystème « Ed.nat. ». La deuxième chose que l’on voit est que la priorité budgétaire à l’éducation est elle-même affectée prioritairement à l’école primaire. Et la troisième chose c’est que c’est justement à l’école primaire que couve la protestation et que se déclenche un mouvement de grève, le premier du ministère Peillon. Et là, c’est à la fois gênant et absolument pas explicable à l’extérieur donc accessible au sens commun.

Soyons (un peu) lâche : oublions prudemment certains arguments de contexte – sur qui fait grève aujourd’hui en France et pour quelles raisons généralement de force majeure – qui nous vaudraient des réactions disproportionnées. Et revenons à cette seule grève-là.

Cette grève – assurent ses partisans- n’est pas pour défendre nos intérêts ! C’est une grève pure, une grève généreuse. Une grève pour retenir le gouvernement sur la voie des erreurs irréparables. Une grève pour l’intérêt des enfants. Ah ?

Le vaste nuancier de la protestation

Admettons. Relevons quand même que, quand Xavier Darcos, sur l’injonction d’un Nicolas Sarkozy très content de réaliser un coup médiatique fumant, a supprimé en 2008 la classe du samedi matin, il n’y eut point d’appel à la grève pour l’intérêt des enfants. Relevons également que personne, depuis, n’a entendu parler d’appels syndicaux pour un courageux rétablissement du samedi matin. D’accord, il y a prescription et il est par nature très difficile de s’opposer à un coup fumant… Et depuis, c’est l’idée qu’il faut « sauvegarder le caractère familial du week-end » qui s’est imposée : autrement dit, une autre définition de l’intérêt des enfants, dont on constate qu’il  prend des formes diverses et variables selon les circonstances et les angles de vue.

Le samedi matin étant, sauf disposition locale particulière, devenu intouchable, c’est donc sur le mercredi matin que se fixe le retour à la semaine de quatre jours et demi. Et c’est là que, sans craindre de déclencher des rires nerveux, certains enseignants parfaitement de bonne foi lèvent le doigt pour affirmer leur préférence envers ce samedi matin qu’il aurait « mieux valu » choisir. Mais cette attitude-là n’est elle-même qu’une variante minoritaire parmi les protestataires, une pastille dans le vaste nuancier de la protestation.

Relevons que si l’on suit les arguments aujourd’hui avancés contre le rétablissement des quatre jours et demi dans le primaire, il y a autant de définitions de « l’erreur » et de « l’intérêt des enfants » que de parties prenantes. A entendre certains protestataires, on se demanderait presque comment les adultes d’aujourd’hui ont pu supporter sans traumatismes majeurs des rythmes scolaires encore plus barbares que ceux aujourd’hui proposés. Mais dans quel état sortaient-ils de l’école à 16 heures 30 ?

Le plus génial des négociateurs…

Entre ceux qui pensent qu’on ne va pas assez loin, ceux qui pensent qu’on va trop loin, ceux qui auraient préféré qu’on ne change rien et ceux qui déplacent le débat en soulignant tout ce qu’il faut absolument changer avant de toucher aux rythmes scolaires, on y perd son latin. L’opposition, une fois de plus lorsqu’il est question d’un quelconque changement dans l’Education nationale, est un conglomérat hétéroclite que le plus génial et le mieux disposé des négociateurs ne saurait satisfaire. Le plus génial et le mieux disposé des négociateurs ne saurait obtenir que la neutralité des forces dominantes.

Peut-être, et c’est en tout cas ce qui affleure lorsqu’on parle avec certaines personnes au fait des coulisses, la négociation ces derniers mois n’a-t-elle pas été aussi géniale, justement, qu’elle aurait dû être. Peut-être une confusion s’est-elle installée entre tractations d’appareils et préparation des esprits ? Peut-être fallait-il ne pas commencer par ce sujet ? Ou le différer dès la première alerte sur son caractère plus compliqué qu’il n’y paraissait? Mais ce ne sont là que des conjectures, toujours faciles a posteriori quand un problème est bien installé.

Quand Luc Chatel, après la remise en juillet 2011 du rapport définitif de sa conférence nationale sur les rythmes scolaires, lancée en juin 2010, a fait comprendre qu’il ne passerait pas aux actes, tout le monde a pensé que l’usure politique de la majorité d’alors et la sienne propre ne lui permettaient pas d’aller plus loin, et que le relais serait sans doute pris par un autre gouvernement, d’une couleur ou d’une autre.

Une des conclusions des travaux de cette « conférence » était précisément que, contrairement à d’autres points comme la durée des grandes vacances, le retour aux quatre jours et demi par semaine faisait l’unanimité. Et cette conclusion était identique à celle d’une mission parlementaire d’information sur les rythmes scolaires, affirmant que l’interdiction de la semaine de quatre jours « manifesterait clairement la volonté des pouvoirs publics de placer l’intérêt de l’enfant au centre de la nouvelle organisation du temps scolaire en allant au-delà des intérêts acquis… ».

Les yeux dans les yeux

Est-ce vraiment un manque de souplesse d’esprit des journalistes en général et de l’auteur du présent billet en particulier ? Il y a six mois, la quasi-unanimité régnait encore (ou semblait régner, on ne sait plus) sur l’idée que « l’erreur » avérée, c’était justement la réforme Darcos et que le retour aux quatre jours et demi était la première chose à faire pour enclencher une réforme des temps scolaires, étant entendu que l’on ne se limiterait pas, à terme, à restructurer la semaine.

Et maintenant, il nous faudrait admettre – sous un déluge d’arguments souvent aussi techniques que contradictoires (et parfois renversants) – que, non, finalement, il vaut  mieux y renoncer et penser à autre chose… ou tout remettre en discussion sous le prétexte qu’il n’y aurait pas eu assez de concertation.

Le problème, chers amis enseignants et protestataires, est que le résultat de toute concertation dans l’Education nationale, est invariablement – quelles que soient sa durée, son ampleur et ses modalités – qu’il n’y a pas eu assez de concertation, que le résultat de la concertation était de toute façon prévu d’avance et qu’il s’agissait d’un simulacre de concertation. Exagération ? Les yeux dans les yeux, qui oserait le prétendre ?

Il va de soi que, dans le fouillis des arguments critiques, certains sont respectables, recevables, raisonnables et fondés. Il doit être admis, ne fût-ce que comme hygiène de travail, qu’un mouvement de protestation ne tombe jamais du ciel, qu’il a toujours un sens et aussi qu’il peut parfois exprimer d’autres malaises que ses motifs apparents. Il faut reconnaître qu’un dossier impliquant à la fois le monde enseignant et les collectivités territoriales peut rapidement atteindre des sommets de complexité. Il va de soi que jusqu’au dernier moment, un projet peut être amendé, amélioré. Mais il est évident, aussi, que différer d’un an, comme le réclament les principaux opposants, une réforme qui prévoit déjà la possibilité optionnelle d’être appliquée un an plus tard, serait un coup politique fatal à tout le processus de « refondation ».

En principe, tel n’est absolument pas le but de cette grève troublante, ni de la protestation plus large et diffuse qui l’accompagne. Une interprétation optimiste voudrait que ce ne soit qu’un épisode un peu boiteux et non un signe annonciateur. Mais que va-t-il se passer lorsque seront abordés de vrais sujets de discorde ?

Luc Cédelle

P.S. Un blog d’instit à connaître, dont le propos sur ce sujet recoupe en partie le mien (en partie seulement, je ne souhaite pas le compromettre!)

Ecole fermée : mon jour de grève dans notre «journée d’action»

Sixième épisode de notre exploration en territoire scolaire intense, en compagnie de notre guide, Véronique Decker, directrice d’école à Bobigny (Seine St-Denis). Cette fois, le guide était en grève, mais écrivait quand même. L.C.

La grève de 24 heures fait partie de nos rituels professionnels. J’ai été très surprise d’apprendre dans un livre sur l’histoire des luttes des instituteurs (Robert Hirsch : Instituteurs et institutrices syndicalistes (1944-1967) Editions Syllepse), que ces derniers, avant la Deuxième guerre mondiale, ne faisaient jamais grève, de peur de pénaliser les enfants.

Désormais, impossible de négocier quoi que ce soit sans abandonner les enfants à des jours longs et tristes comme un jour sans école et sans parents.

Pendant des années, on a fait grève comme cela – une journée de temps en temps, pour juste montrer notre force et notre unité – et cela suffisait à préserver l’essentiel. Du moins c’est l’impression que nous avions. Nous n’avions pas forcément ni clairement conscience des changements, progressifs mais réels.

De toute ma carrière, je n’ai connu que trois mouvements durables : en 1984, en 1998 et en 2003.

En 1984, c’était contre le projet de « maitres directeurs », c’est-à-dire l’idée que les directeurs deviendraient des supérieurs hiérarchiques comme les principaux et proviseurs. Cette grève-là fut gagnante : nous sommes restés des enseignants, travaillant avec des pairs avec une véritable liberté de parole et d’action.

En 1998, c’était pour défendre l’école publique en Seine Saint Denis. Une drôle de grève, gagnante aussi. Même les syndicats peinaient à croire à une telle victoire et acceptaient qui 30 postes, qui 300 postes, alors que les grévistes et les parents déchaînés sont rentrés avec une victoire de 3000 postes supplémentaires pour le département au titre d’un « plan de rattrapage ».

En 2003, nous avons fait grève avec l’ensemble des entreprises de la ville pour défendre les retraites et ce fut le premier mouvement d’envergure conclu sur une défaite, accompagnée de lourdes pertes financières qui ont plombé le moral de ses participants.

Plus question, après cela, de se lancer dans un grand mouvement. Mais en même temps, comme les grèves de 24 heures ne permettent pas de gagner quoi que ce soit, nous sommes dans la quadrature du cercle.

Nous avons assisté depuis, impuissants et atones, à la dégradation dramatique du service public. Nous avons encaissé humiliation sur humiliation sur le « niveau » qui baisse, les « méthodes de lecture », acceptant que des zigotos viennent nous apprendre notre métier en se pavanant à la télévision.

Ce qui caractérise l’école, c’est que tout le monde prétend savoir ce qu’il faut faire et comment tout irait mieux.

On imagine mal les chirurgiens ou les plombiers se faire donner des leçons de suture ou de soudure par des inconnus incompétents, mais nous, c’est ce que nous devons supporter avec patience. Non seulement les injonctions idiotes, mais aussi les changements de programmes, d’organisation, de structure qui donnent le mal de mer.

Parallèlement, les enfants ont perdu du temps scolaire avec la suppression du samedi matin, les écoles ont perdu l’aide des enseignants spécialisés et la formation au métier a été quasiment supprimée.

Je ne vais pas redire tout ce que tous les syndicats et tous les pédagogues ont dit, mais « l’enfumage » a été total. Chacun admet aujourd’hui que l’école publique est atteinte et que la qualité de l’enseignement baisse. La colère est là. Intacte, même accompagnée du ras-le-bol de défendre l’école sans les jeunes et leurs parents, pourtant premiers concernés.

Notre école Marie-Curie a donc été fermée. Titulaires ou remplaçants, tous les enseignants ont perdu une journée de salaire pour montrer leur mécontentement. La plupart des syndicats en profiteront pour proposer, comme unique perspective, de voter pour eux aux élections professionnelles qui –cela tombe bien – se profilent courant octobre.

Comme d’habitude, j’ai participé à cette grève, sans aucune illusion, parfaitement consciente qu’elle ne permettra pas de faire reculer le gouvernement décidé à briser les reins de la fonction publique et de ses avantages sociaux.

Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que cette fois, peut-être… l’idée d’aller plus loin, de reprendre le chemin des luttes qui permettent de gagner, pourrait faire bouger les lignes.

Véronique Decker

Ecole : Jack attaque

Le jeune Jack Lang jouant Caligula à Nancy

Tacticien, c’est dès la mi-août que Jack Lang a démarré son offensive de rentrée contre le bilan scolaire de Nicolas Sarkozy en publiant un petit livre au titre on ne peut plus explicite : Pourquoi ce vandalisme d’Etat contre l’école ? Lettre au Président de la République (Editions du Félin, 129 p. 14 € ).

Un  livre mais aussi un site Internet et, en préparation, un tour de France de l’école pour rencontrer enseignants et parents. Mais l’ancien ministre  de l’éducation ne serait-il pas porté à la dramatisation ? C’est ce que nous lui avons demandé, entre autres questions auxquelles il répond spécialement pour cette blog-interview.

Vous tenez le président de la République pour responsable d’un « vandalisme d’Etat » contre l’école. Mais sa politique scolaire a démarré dès 2007. N’avez –vous pas, en réservant vos attaques à son ministre Xavier Darcos en 2008, voulu ménager Nicolas Sarkozy… et vos propres perspectives ?

J. Lang J’ai toujours placé l’école au-dessus de tout, et en particulier au-dessus des conflits partisans. Si ce gouvernement avait agi positivement en faveur de l’école, je m’en serais publiquement réjoui. Par le passé, certaines avancées, comme le collège unique avec René Haby ou le développement de l’enseignement professionnel avec Christian Beullac, ont été accomplies par des gouvernements de droite.

Dans les premiers mois de son mandat, le président nouvellement élu  a donné le sentiment qu’il s’apprêtait à aborder toute une série de sujets d’une manière inédite et originale : notamment la décision d’ouvrir le chantier de la rénovation des institutions ou la remise sur pied du traité européen.

Alors je me suis pris à espérer une certaine ambition pour l’école. Chaque fois que j’ai vu le président, j’ai pris le soin d’aborder avec lui ce sujet. Je lui ai dit franchement, par exemple, que sa réforme de la formation des maîtres était une très grave erreur. Je n’ai pas été entendu.

Ce gouvernement s’est engagé, puis enferré dans une programmation pluriannuelle de destruction d’emplois. J’ai espéré, sans doute naïvement, que la règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite épargnerait l’éducation nationale.

J’aurais aimé que l’enseignement scolaire bénéficiât d’une sanctuarisation. Il n’en a rien été. Je ne pensais pas possible un tel acharnement, mais j’ai dû me rendre à l’évidence que la période Darcos n’était pas un incident de parcours. J’en ai tiré les conséquences. Je n’ai pas d’autres perspectives à soutenir.

Vous reprenez à votre compte la thématique de la « destruction programmée » et de la « privatisation rampante » de l’école. Or, cela fait plus de 10 ans que ces épouvantails sont brandis par une alliance de la gauche radicale, des conservateurs et d’un syndicalisme de résistance au changement. N’êtes-vous pas en train de rallier un front de l’immobilisme ?

Il s’agit bel et bien d’une destruction et, de fait, elle est programmée ! On ne peut pas ou on ne peut plus refuser de le voir. Cette destruction a commencé dès 2002, avec le gouvernement Raffarin. Elle a commencé moderato cantabile, mais là, maintenant, nous sommes dans un film en 3D !

C’est aujourd’hui un fait avéré, confirmé, évident : jamais un gouvernement ne s’est livré à une telle destruction systématique des forces vives de l’école. Et ce n’est pas de l’immobilisme que de me dresser contre cette destruction, qui aggrave les défaillances du système et amène elle-même à des formes incontestables de privatisation.

Cela étant, il n’est pas faux, bien sûr, de constater qu’il existe dans l’éducation nationale des résistances au changement. Et sans doute certaines organisations en son sein sont-elles conservatrices par nature. Mais encore faut-il savoir travailler avec elles ! La mise en place du LMD (licence, master, doctorat) à l’université ou la création des TPE (travaux personnels encadrés) au lycée montrent que c’est possible.

Il y faut une volonté politique forte, une capacité à convaincre et à persuader les plus réticents. Des résistances au changement ? Raison de plus pour qu’un gouvernement soit d’action, d’impulsion et de courage. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Etes-vous conscient qu’une part non négligeable de l’opinion enseignante et intellectuelle – celle qui se désole du « pédagogisme » – vous associe à la baisse des exigences et au déclin de l’école ?

Je récuse radicalement cette opposition mortifère qui, heureusement, tend à disparaître entre les « pédagogues » et les tenants du savoir ou des disciplines scolaires. Rien n’est plus imbécile que cette campagne idéologique haineuse. Sous prétexte de s’en prendre à certains errements de la pédagogie, elle est en réalité dirigée contre toute la pédagogie.

Ceux qui ont orchestré cette campagne peuvent être heureux aujourd’hui, puisque la formation pratique des maîtres a été passée à la trappe. Leur victoire est absolue. Ils ont gagné mais l’école a perdu sur les deux tableaux : la formation a disparu et les exigences sont en baisse. Une formation initiale idéale doit assurer aux enseignants un haut niveau disciplinaire et une préparation pratique. Il faudra bien un jour renouer avec cette nécessité.

Vous utilisez l’argument de la « baisse du niveau », en le retournant contre la droite qui en a abondamment usé contre la gauche. Ne serait-il pas plus raisonnable d’admettre une responsabilité partagée ?

La transformation de la société, la modification de l’imaginaire des enfants, la privatisation des esprits par l’invasion des écrans et du consumérisme hystérique, les apartheids sociaux et urbanistiques se conjuguent pour mener à l’amoindrissement de l’école. Ce sont des faits de société puissants qui, en tant que tels, ne peuvent être attribués à la droite ou à la gauche mais face auxquels on ne doit pas se résigner. Il ne peut y avoir une politique de l’école isolée des autres enjeux.

Alors, que la gauche ait une part de responsabilité dans la situation que nous connaissons, je veux bien l’admettre, mais certainement pas à égalité. Il n’est qu’à comparer l’énergique politique de la ville que nous avons menée avec celle d’aujourd’hui ! Qu’il s’agisse de la ville, de l’école ou de la politique sociale, cela fait presque dix ans, maintenant, que la droite détient tous les rouages.

Vous affirmez, en vous référant à l’enquête internationale PISA, que les performances des élèves français baissent « depuis que la droite gouverne ». Mais la première enquête PISA a été réalisée 2000 !  Elle ne pouvait donc que mesurer une situation issue des années précédentes, donc d’une succession d’alternances gauche-droite. Et depuis 2000, les scores de la France n’ont pas significativement baissé…

Oui, mais dans le même temps l’Allemagne a redressé la barre avec succès tandis que la France a continué de s’enfoncer doucement en perdant des places dans les classements et en creusant les écarts entre les élèves. Et puis, est-il satisfaisant de rester « moyens » pendant que d’autres sont classés « excellents » ?

Je ne suis pas en train de prétendre que la gauche aurait eu 20 sur 20 sur tous les plans, mais la responsabilité du gouvernement actuel et de ceux qui l’ont précédé depuis 2002 est considérable ! Les effets délétères s’en ressentiront longtemps.

Pour prendre la seule période du ministère Darcos, c’est bien la première fois qu’un gouvernement abaisse l’exigence des programmes, supprime la formation des maîtres et change les rythmes scolaires sans aucune réflexion préalable. J’ai quitté le ministère de l’éducation en 2002, après avoir proposé toute une série d’approches nouvelles, et je n’ai jamais nié que certains de mes prédécesseurs avaient pu faire de bonnes choses.

Mais je vous rappelle que la gauche a perdu le pouvoir en 2002 et que depuis près de dix ans, la plupart des décisions des gouvernements de droite sur l’école ont bel et bien été des décisions de casse !

La thématique de « l’innovation » est devenue, avec Luc Chatel, un leitmotiv du ministère, qui a même organisé au printemps des « journées de l’innovation » à l’Unesco. Est-ce encore un terrain sur lequel les clivages politiques ont un sens ?

L’innovation était au cœur même de notre action de 2000 à 2002. J’avais mis sur pied un conseil national qui inventoriait et analysait les innovations scolaires et facilitait la naissance ou le renforcement de structures expérimentales. Alors si Luc Chatel reprend vraiment cela à son compte, s’il n’abandonne pas – ce qui reste d’ailleurs à prouver – les collèges ou les lycées expérimentaux, après tout tant mieux !

J’éprouve tout de même un doute car je dois reconnaître qu’il mérite le César du ministre de l’éducation le plus habile à mettre en scène les décisions qu’il ne prend pas. Nous avons aujourd’hui affaire à un prestidigitateur qui occupe en permanence la scène médiatique sur des sujets importants comme la violence, les rythmes scolaires ou l’innovation et qui est passé maître dans l’art de multiplier les réformes d’apparence.

Il change en permanence de sujet pour braquer les projecteurs et surtout les détourner de la triste réalité de ses véritables actions.

Affirmeriez-vous que dans l’hypothèse d’un retour de la gauche en 2012, les postes d’enseignants supprimés ces dernières années seraient rétablis ?

Je ne peux pas engager le parti socialiste sur ce point, mais ce qui a été dit par ses différents responsables est que l’école serait une priorité. Je souhaite personnellement que l’on rétablisse, sur une période de cinq ans, la totalité des 66 000 postes supprimés pendant les cinq années précédentes.

Evidemment, il ne faudrait pas se lancer dans des recrutements hâtifs, recruter pour recruter. Mais il faut, sur cinq ans, lier recrutement et formation en s’appuyant sur une vision de l’école. Dans l’immédiat – toujours dans l’hypothèse politique qui a ma préférence – il faudra prendre des mesures d’urgence car la rentrée 2012 sera de toute façon très difficile.

Propos recueillis par Luc Cédelle

« A tous ceux qui prennent nos mots » : le coup de gueule d’une directrice d’école

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Façade, Bd Richard-Lenoir, Paris

Après celui sur les évaluations , voici un autre texte émanant d’une maîtresse d’école en colère. Un autre « coup de gueule » donc, que je trouve à la fois intéressant et symptomatique de la relation dégradée entre une grande partie des enseignants du primaire et l’actuel pouvoir politique.

Le fait est que certains des opposants les plus radicaux, notamment dans la mouvance des « désobéisseurs » sont aussi des enseignants extrêmement impliqués dans leur travail, et dont l’honneur professionnel -osons les grands mots- est inattaquable.

C’est le cas de Véronique Decker que, dans le cadre de la rubrique éducation, je connais depuis longtemps. Directrice d’école à Bobigny, au milieu des tours de la cité Karl-Marx, elle et ses collègues travaillent au plus dur du plus dur, dans une école qui pratique la pédagogie Freinet.

Inutile de préciser – mais je le fais quand même – que je ne suis pas d’accord avec toutes ses affirmations. Mais la question n’est pas là : son texte est un document qui mérite diffusion, écoute et considération.

L.C.

« Lettre ouverte à tous ceux qui prennent nos mots, les retournent et leur donnent un tout autre sens »

Nous,  militants pédagogiques et syndicaux, avons travaillé tout au long du XXème siècle à l’amélioration de l’école pour les enfants du peuple. Pour en finir avec une école militarisée qui avait envoyé au front en 14 des milliers de jeunes français et des milliers de jeunes allemands, et puis encore des milliers d’autres venant de nombreux pays se battre sans réfléchir et s’exterminer sans remettre en cause ni Krupp, ni Wendel.

Nous avons inventé des projets pédagogiques permettant d’emporter toute une classe vers des apprentissages qui faisaient sens pour tous, car ces projets partaient du groupe classe, enseignant et élèves, et constituaient les individus en groupe qui coopérait pour progresser.

Nous avons inventé des évaluations par compétences permettant à tous les élèves de savoir où ils en étaient, quel était le chemin qui restait à parcourir et comment trouver de l’aide pour aller plus loin.

Nous avons inventé un socle commun qui imposait pour tous une scolarité de plus en plus longue, de plus en plus partagée, avec une scolarité en maternelle pour tous, la mixité de l’école, une orientation de plus en plus tardive, le passage du CET au lycée professionnel, et une avancée significative vers un niveau Bac pour l’essentiel des élèves.

Nous avons inventé  des temps individualisés et de soutien en classe, comme avec l’aide des RASED [réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté], des psychologues scolaires, pour pouvoir réfléchir aux difficultés et trouver des remédiations dans l’école avec des personnels formés et compétents.

Mais voilà que les adeptes du capitalisme libéral débridé se sont saisis de nos mots et les ont transformés en hydres répugnantes. Au point même que des gens pensent que pour lutter, le mieux serait de revenir aux « bonnes vieilles méthodes d’avant guerre » : bons points, blouses, classements et lignes à copier pour les punis.

Ils ont saisi le projet pour en faire un logiciel avec des cases à cocher par l’enseignant dans l’organisation d’une servitude informatisée à leurs décisions économiques et politiques.

Ils ont repris les évaluations par compétences pour constituer un fichage orwellien des personnes, de la plus tendre enfance à l’âge adulte, avec l’aide de Base élève, de Sconet et de l’identifiant unique INE.

Ils ont créé des paliers de socle commun pour justifier d’un retour de l’orientation des enfants dès la fin de l’élémentaire, puis au milieu du collège qui en a fini d’essayer d’être unique et ont créé des logiciels Affelnet 6 ème, 3 ème, Admission Post Bac… pour achever ce qu’il restait de la carte scolaire et de l’idée même d’une mixité sociale au sein d’un même quartier.

Ils ont utilisé à leur profit la notion de temps individualisé et de soutien pour en finir avec les RASED et imposer le « soutien » en classe, sans aide et sur un temps volé aux autres élèves, et reprendre des postes et des postes en supprimant toujours plus de fonctionnaires.

Dans les postes d’aide, dans ceux destinés au remplacement des malades, dans ceux utilisés pour la formation des jeunes, dans ceux réservés aux associations complémentaires de l’Ecole Publique. Et maintenant en chargeant et surchargeant les élèves dans les classes.

Derrière nos mots, il y a le sens de nos actions, celles de la construction d’une école publique, gratuite, seule à même d’apporter un progrès social qui nous concerne tous et pas une réussite individuelle au mépris des autres. 

Véronique DECKER v.decker@laposte.net

Ecole primaire : les motivations profondes des instits «désobéisseurs»

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C’est un texte que vient de mettre en circulation une « instit » engagée dans le mouvement dit des « désobéisseurs », qui refusent d’appliquer certaines des réformes ou des dispositions des ministères Darcos et Chatel.

Daté du 26 mars et mis en ligne sur le site clermontois «Quelle école pour demain?», ce texte s’intitule « Evaluations nationales CE1 2011 : mon engagement ». C’est un appel à boycotter ces prochaines évaluations, qui auront lieu du 16 au 20 mai 2011. Par rapport à d’autres textes ou communiqués émanant de cette mouvance, il constitue à mes yeux un document particulièrement intéressant.

Sécession mentale

Il résume très bien l’état d’esprit et les motivations de ceux qui, parmi les fonctionnaires de l’Education nationale, décident de franchir ce seuil de la désobéissance. Mais il en dit long aussi sur un phénomène plus large de « sécession mentale » que vivent beaucoup d’enseignants aujourd’hui face au système dont ils dépendent.

En creux, c’est aussi un acte d’accusation contre les ravages d’un mode de pilotage du système éducatif selon des intérêts politiques à court terme (depuis mai 2007 : montrer à l’électeur que l’on sait mettre au pas les fonctionnaires-de-gauche-toujours-en-grève).

Ce mode de pilotage consiste à tout imposer « d’en haut » et à plaquer des mesures (l’abandon du samedi, les programmes de 2008, la mise en extinction des RASED – réseaux d’aide spécialisés aux élèves en difficulté – les nouvelles évaluations, etc.) en considérant les quelque 350 000 enseignants du primaire comme de purs exécutants.

Des professionnels aux exécutants

Des exécutants que l’on n’a donc pas besoin de convaincre, auxquels il suffit de donner des ordres et qui n’ont qu’à épouser la forme des caprices, des lubies ou des géniales décisions des politiques au pouvoir. Donc tout, sauf des professionnels motivés et responsables, dotés d’une autonomie dans leur travail.

Vous prenez un professionnel motivé, vous commencez par lui faire comprendre que tout ce qu’il a fait jusqu’à présent était plutôt mauvais, vous lui ôtez toute marge de manœuvre personnelle, vous le pliez à cette idée qu’il n’est pour vous qu’un exécutant… Bravo, vous avez tout perdu.

C’est, en caricaturant à peine, la position de l’actuel pouvoir politique face au monde de l’enseignement primaire : une attitude non pas pousse-au-crime mais pousse-à-la-désobéissance. Ou, ce qui est pire, à l’atonie massive. A la non-opinion. Au fatalisme, là où le volontarisme est depuis toujours le moteur.

L’enseignement primaire était paisible lorsque le quinquennat a débuté. Cette opportunité n’a pas été exploitée pour avancer sur « le » sujet important : améliorer l’efficience du système et étouffer à la source, avant qu’il ne s’incruste, l’échec scolaire lourd qui retentit ensuite de niveau en niveau.

Des «chiens méchants»?

Il y avait, il y a toujours pour cela des syndicats avec lesquels il est possible de parler. Seule l’ignorance, les préjugés, l’opportunisme et la paresse politique entretiennent le mythe des syndicats qui « bloquent tout » à l’école primaire. Des « chiens méchants » selon une parole dure prononcée par Marcel Gauchet, en 2009, dans un débat à l’EHESS.

J’ai déjà exprimé ailleurs, notamment ici, les réserves que m’inspire, ainsi qu’à d’autres observateurs, le concept de désobéissance civile appliqué à l’enseignement. Je n’y reviendrai pas aujourd’hui. Je ne suis pas l’ennemi des désobéisseurs. Simplement et comme d’autres, j’examine leur démarche sous un œil critique.

Le texte qui suit est, je le répète, un document. Je n’avalise ni ne cautionne aucune des affirmations qu’il contient et dont la vérification me prendrait (ou me prendra) beaucoup de temps. Mais j’invite à constater que c’est un texte éloquent, sincère et respectable, témoignant d’une énergie disponible et qui n’est pas fatalement destinée à s’investir dans le conflit.

Conflit et gâchis

A propos de conflit, et de gâchis, cette information : François Le Ménahèze, exerçant dans une école de Loire-Atlantique, enseignant reconnu et apprécié, animateur national au mouvement Freinet, a appris début avril qu’il serait convoqué en commission disciplinaire pour avoir refusé de passer les évaluations 2009-2010.

Pour les mêmes motifs, l’inspection académique lui avait déjà refusé en novembre 2010 un détachement comme formateur à l’IUFM de Nantes. Selon le « réseau des enseignants du primaire en résistance », qui veut en faire « une affaire nationale » il risquerait un abaissement d’échelon ou une mutation d’office.

Assez commenté. Place au texte. Il est signé de Marie-Odile Caleca, professeur des écoles à Clermont-Ferrand et membre elle aussi du « réseau des enseignants du primaire en résistance  ».

L.C

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Ajout du 13 avril 2011:

La compagnie NAJE (nous n’abandonnerons jamais l’espoir) a mis en scène ce texte. Voici le lien pour la vidéoComme on dit dans les collèges, ça déchire…


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Les évaluations CM2 sont passées, les évaluations CE1 se profilent, l’heure est aux grandes décisions !

En tant qu’enseignant-fonctionnaire-qui-fonctionne, je m’engage donc :

  • à stresser mes élèves, en leur imposant des épreuves et un protocole de passation totalement inadaptés à leur âge,
  • à respecter un codage binaire de correction qui transforme, de façon très arbitraire, chaque élève en une ligne de « zéros » et de « uns » (les autres codes ne sont pas pris en compte lors du relevé)
  • à faire remonter les résultats obtenus, dont je sais qu’ils ne veulent rien dire, pour que les inspecteurs s’en saisissent et « pilotent » artificiellement les écoles et les personnels
  • à utiliser les résultats obtenus, dont je sais qu’ils ne veulent rien dire, pour trier mes élèves,
  • à envoyer, sur cette base, des enfants à des stages et des heures de soutien qui ne leur apporteront aucune aide spécialisée efficace,
  • à mentir aux parents en leur assurant que les résultats sont anonymés, alors qu’ils sont joints au dossier de leur enfant, et que ce dossier sera dès l’an prochain informatisé,
  • à laisser croire que l’ensemble du dispositif est scientifique et rigoureux.

Pour améliorer les résultats de mes élèves, et gagner l’estime de mes cadres hiérarchiques, je pourrai toujours :

  • éviter de prendre dans ma classe / mon école, des élèves qui risqueraient de trop faire baisser mon taux moyen de réussite ;
  • consacrer la plus grande partie de l’année scolaire à dresser mes élèves à répondre à des questions sans intérêt, au détriment des autres apprentissages ;
  • faire bachoter mes élèves sur la version 2011 dès qu’elle sera diffusée ;
  • apporter, en cours d’épreuve, une aide plus ou moins ciblée et détaillée, pour éviter toute défaillance qui porterait préjudice au score global…

Cependant, si mon objectif est d’obtenir un classement de type « éducation prioritaire », et si j’espère le maintien des subventions spécifiques qui y sont associées, je veillerai à inverser tous ces choix, et j’appliquerai sans pitié les temps et consignes de passation de la façon la plus stricte.

Ainsi, la politique actuelle appliquée à l’école sera cautionnée.

Ainsi, les effets néfastes de la surcharge des classes, de la suppression des remplaçants, de la déscolarisation des 2 ans en zones défavorisées, de la suppression des RASED et de la destruction des petites structures seront masqués.

Ainsi, les fichiers informatiques des élèves pourront être alimentés.

Je recevrai, si le budget de l’éducation nationale le permet encore, une prime de 400€, en paiement de ma docilité.

Tout cela m’écœure et me rend malade.

Je n’en peux plus d’attendre une consigne syndicale unifiée qui n’arrivera pas.

Je n’en peux plus d’essayer d’adapter à la marge les consignes de passation de ces évaluations, en espérant que les effets néfastes sur les élèves et sur la gestion de l’école resteront limités.

Je n’en peux plus de voir à quel point ces évaluations influent de façon négative sur ma pédagogie.

Je n’en peux plus de voir l’impact qu’elles prennent malgré moi sur les élèves et leurs familles…

Je n’en peux plus de recevoir cette prime de 400€, qui ne représente rien d’autre que le prix de ma soumission.

Je n’en peux plus de m’astreindre à ne pas trop penser aux dérives que le pilotage par le chiffre ne va pas manquer de provoquer.

Je n’en peux plus de m’astreindre à ne pas trop penser.

J’ai décidé de ne pas/de ne plus être un rouage de ce dispositif. Je boycotterai ces évaluations.

Je n’en ferai pas remonter les résultats.

Si je n’enseigne pas dans le niveau concerné, je me rendrai solidaire de ceux et celles qui les boycotteront. Je demanderai à être mis en cause à mon tour si l’un d’entre eux est convoqué ou sanctionné pour cette action.

Je peux aussi donner un sens collectif à cet engagement, et signer la charte de résistance pédagogique.

Je rejoindrai ainsi ceux qui construisent une action concrète et efficace pour alerter les parents et les enseignants sur les dangers de ces évaluations nationales et pour contrer ce dispositif.

Marie-Odile Caleca

Où sont passés les lycéens ? (2) : les réponses d’Antoine Evennou, ancien président de l’UNL

Un mouvement lycéen a accompagné en octobre celui de millions de salariés contre la réforme des retraites. Depuis, le fleuve a regagné son lit, mais une crue peut encore advenir à tout moment dans un pays où personne n’oserait dire que la jeunesse est bien traitée. Où sont passés les lycéens « en lutte » ? Deuxième et dernier volet des réponses personnelles d’Antoine Evennou, ancien président de l’Union nationale lycéenne (UNL).

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Antoine Evennou au congrès des élus lycéens, le 29 janvier 2011. A sa droite, Patrick Gonthier (UNSA-Education)

Autant de vieux en activité après 60 ans, autant de jeunes sans perspective d’emploi. C’était le principal message des lycéens mobilisés. Il suffit de remplacer « vieux » par « immigrés » et l’on tombe sur… la préférence nationale. Ce que vous défendez c’est la « préférence jeune » ?

Non, car il y avait deux principaux messages portés par les lycéens. Le premier était : « vous voulez faire travailler les gens plus longtemps, alors qu’il n’y a pas assez d’emploi pour tous aujourd’hui ». Le gouvernement a pris les choses à l’envers : il fallait d’abord s’occuper de l’emploi. Créer de l’emploi par des investissements publics, notamment pour éviter les délocalisations, permettrait de financer à près de 50% les retraites au vu des prévisions du Conseil d’orientation des retraites, prévisions que certains économistes remettent en cause.

Le deuxième message était : « nos grands parents et parents ont gagné la possibilité de partir à à 60 ans, et aujourd’hui vous voulez nous faire payer le prix de votre politique ? ». Cette politique menée depuis plus de vingt ans consiste à enrichir une minorité au détriment de la majorité sociale. Lorsque ce système s’est effondré en 2008 avec la crise, au lieu de le remettre en question, les gouvernements se sont contentés de l’aménager, en continuant à faire payer les plus défavorisés.

Les jeunes refusent cette perspective. Et ce ne sont pas les lycéens des milieux favorisés qui se sont le plus mobilisés, mais ceux des banlieues, des milieux populaires, des filières professionnelles… L’affaire Bettencourt en a rajouté une couche en rappelant qu’il y a des gens qui ont de l’argent, beaucoup trop, et qui doivent accepter de se serrer la ceinture d’un petit cran pour assurer à la société un avenir meilleur grâce à une justice sociale renforcée.

Avec cette réforme le gouvernement fait le choix de flouter encore un peu plus les perspectives socioprofessionnelles de toute une génération qui vit déjà moins bien que celle de ses parents.

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Octobre 2010, Paris

La quasi-totalité des organisations syndicales, et pas seulement d’enseignants puisque Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, était présent, ont participé à votre congrès des élus lycéens… Quel est le sens de cette présence ?

Les relations entre l’UNL et les organisations syndicales confédérales se sont renforcées ces dernières années. C’est une nécessité pour nous comme pour eux, à mon avis, que nous puissions nous alimenter mutuellement sur les sujets sur lesquels nous sommes en capacité d’apporter quelque chose à l’autre.

La présence de ces organisations  et des syndicats enseignants lors du Congrès des élus de l’UNL comme lors du Congrès National, qui s’était tenu en avril 2010, met en évidence le respect mutuel qui existe entre nous. Leur présence est significative de la progression de l’UNL depuis des années dans les lycées et de son ancrage dans le mouvement social.

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Victor Colombani, 29 janvier  2011

Quand Victor Colombani vous a succédé, en octobre, à la présidence de l’UNL, j’ai entendu certains journalistes politiques expliquer que ce choix avait été arrêté par Benoît Hamon, grand tireur de ficelles PS des organisations de jeunes… et que les dirigeants de l’UNL étaient de la  « bande à Hamon »… Jusqu’à quel point ont-ils raison ?

Franchement, ce genre de propos me fait rire ! C’est que je disais précédemment sur le peu de travail de fond des journalistes concernant le mouvement lycéen. C’est d’une inexactitude accablante.

Tout d’abord, nous ne nous empêchons de discuter et de travailler avec personne, hormis avec l’extrême droite. Lorsque j’étais président de l’UNL j’ai eu l’occasion de discuter avec le PCF, le Parti de Gauche, le PS, Europe Ecologie, le NPA et l’ensemble de leurs organisations de jeunesse.

Notre but est celui de tous les syndicats, c’est-à-dire de porter les revendications et les aspirations du milieu que nous représentons. Alors je ne vois pas sous quel prétexte des lycéens s’interdiraient de porter leurs aspirations auprès des partis politiques.

Ensuite, l’UNL a vocation à défendre tous les lycéens dans le but d’une transformation sociale, ce qui fait d’elle une organisation de gauche. Elle comprend des lycéens qui ne sont pas dans une organisation politique et d’autres qui le sont et peuvent appartenir à toutes ces organisations que je viens de citer. Cela ne nous empêche pas d’avancer, de trouver des accords.

Les gens aiment à penser qu’une organisation lycéenne est forcément gérée par des personnes extérieures, cela leur permet de ne pas admettre que les lycéens sont en capacité de réfléchir et de s’organiser en étant autonomes.

Cette pensée s’apparente à l’idéologie réactionnaire dont le gouvernement a fait preuve pendant le mouvement sur les retraites en soutenant que les lycéens étaient dans la rue à cause de leurs parents, de leurs enseignants voire de Ségolène Royal, et non parce qu’ils refusaient consciemment l’avenir qui leur était promis.

Le gouvernement semble décidé à poursuivre sa politique de réduction des postes d’enseignants et de remise en cause progressive des principes de la fonction publique. Vos alliés syndicaux dans le monde enseignant protestent, mais cèdent un peu plus de terrain chaque année. Quelles sont aujourd’hui les perspectives d’une organisation comme l’UNL ?

Je ne vois pas où est le terrain cédé. Depuis 2007, l’ensemble du monde éducatif se lève contre la politique de réduction budgétaire, des manifestations nationales sont régulièrement organisées. Mais le plus important, et ce dont on parle peu, ce sont les mobilisations locales.

Beaucoup de lycées, de collèges et d’écoles se mobilisent contre les suppressions de postes et obtiennent gain de cause. Avant que je quitte mes fonctions à l’UNL, un mouvement au lycée de Castelnaudary (Aude) avait, au bout d’une semaine, obtenu le rétablissement des postes supprimés.

Je ne suis plus dirigeant de l’UNL et je ne souhaite en aucun cas être accusé d’une quelconque ingérence. Je tiens donc à préciser que je donne simplement un avis personnel sur la situation. Les perspectives de l’UNL sont simples : continuer à se mobiliser contre ces réductions en concentrant d’abord ses efforts au niveau local, et pousser le gouvernement dans ses retranchements.

Sa politique a pour conséquence une dégradation continue du service public, alors qu’au contraire, il est nécessaire d’investir dans notre éducation. Le gouvernement devra bien s’en rendre compte.

Propos recueillis par Luc Cédelle

L’enseignement français doit-il « nordir » ?

Les visites ministérielles à l’étranger sont souvent, aussi bien pour le ministre concerné que pour ceux qui l’accompagnent, journalistes compris, des moments particuliers de mise à distance mentale, voire d’inversion du regard, où les querelles franco-françaises paraissent soudain du plus grand exotisme.

C’est au Danemark, fin août 2010, et en suivant Luc Chatel qui s’y rendait pour une journée avec les membres de sa Conférence nationale sur les rythmes scolaires que j’ai rencontré Pierre Grouix, professeur français en poste à Copenhague. Et c’est récemment que je l’ai interrogé sur son expérience.

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A l’école Hellerup, à Copenhague

Pierre Grouix, vous êtes professeur de lettres modernes de l’éducation nationale et vous exercez cette année scolaire à Copenhague, au Danemark. Qu’est-ce qui vous a mené à cette situation ?

J’interviens dans le cadre d’un dispositif  assez neuf, le programme de mobilité Jules Verne , qui permet à un titulaire de l’Éducation nationale d’enseigner une année scolaire complète à l’étranger. Le principe en est l’immersion professionnelle. Je me suis porté candidat à un poste et me voici gæstelærer (professeur invité) à Hellerup Skole, une école dépendant de la commune de Gentofte, dans la banlieue nord huppée de la capitale.

J’ajoute que j’ai déjà enseigné à l’étranger – en Angleterre, en Espagne, aux USA – et que je suis, en France, titulaire en zone de remplacement (TZR) par choix. Ce statut, un rien « nomade », avec ce qu’il suppose de mobilité et de faculté d’adaptation, m’a peut-être prédisposé à effectuer un séjour à l’étranger.

En outre, je ne verse pas dans l’inconnu : je crois connaître assez bien les pays nordiques, même si je découvre seulement la richesse et la diversité de leur tradition pédagogique. Je comprends et traduis leurs langues, notamment leur poésie.

De loin – car, vue d’ici, même relativement proche par la géographie, la France est loin – cette position est surprenante. En ce qui me concerne, elle est cohérente : en plus d’une candidature qui a abouti, je suis où je souhaite être, dans un pays que j’affectionne.

Dans quel type d’établissement travaillez-vous ? Avec des élèves de quel âge ? Suivent-ils une filière particulière ?

J’enseigne dans un établissement public pilote, créé en 2002, marqué par l’innovation pédagogique, connu pour cela dans le pays et à l’extérieur, et souvent visité par les délégations étrangères. Celle conduite par Luc Chatel y a été accueillie le 26 août 2010.

Innovation, innovation toujours : à titre d’exemple, deux collègues d’une de mes équipes de rattachement, avec lesquels je travaille au quotidien, viennent de remporter un concours mondial de pédagogie innovante liée à l’informatique, qui a réuni 125 équipes en Afrique du Sud. Fait marquant, le primaire est intégré dans cet établissement qui va de la classe 0 à la classe 9, équivalente à la 3ème française.

L’école accueille environ 600 élèves de 6 à 16 ans. Et pas plus âgés, car le redoublement n’existe pas. J’enseigne dans la troisième et dernière section, de la classe 7 à la classe 9 (udskolingen). Mes élèves ont de 14 à 16 ans. Je prépare notamment les élèves de 9ème classe à un concours national, le Folkeskolens Afgangsprøve, l’équivalent du brevet, qui leur permettra d’accéder pour la plupart au lycée, de préparer le bac.

C’est une filière générale, la spécialisation intervenant plus avant dans le cursus. De fait, le côté unique d’Hellerup Skole en fait une vitrine de l’enseignement secondaire danois, mais pas un établissement représentatif. Par exemple, à peu près un élève sur deux des classes 7 à 9 y étudie le français, soit une proportion supérieure à la moyenne nationale, qui indique un recul de cette matière en tant que seconde langue vivante.

Je visiterai dans l’année d’autres établissements de la capitale, du pays, pour me faire une idée plus nuancée de la réalité du secondaire danois. De manière confraternelle, les professeurs me mettent d’ailleurs en rapport avec des collègues de français dans d’autres lieux d’enseignement.

C’est une constante danoise : je ne travaille pas seul, l’individualisme n’est pas de mise. Une des valeurs de l’établissement, qui a sa charte, son journal d’information, est d’ailleurs le travail en commun (samarbejde). L’école a même son hymne, que j’ai traduit. L’esprit d’Hellerup, y est-il écrit, est de faire de l’école un tremplin pour la vie. L’objectif est le même qu’en France, les moyens pour y parvenir diffèrent.

Comment votre travail s’organise-t-il (horaire, lieux, collègues, etc.). Suivez-vous exactement les mêmes règles que vos collègues danois ?

La rencontre d’équipe (teammøde), réunion hebdomadaire à laquelle je participe sans faute, établit pour les quelques semaines à venir les orientations et surtout l’emploi du temps, disponible dans la foulée sur Intranet pour élèves et parents. Autonome, chaque équipe le fixe elle-même, comme elle a établi en début d’année son emploi du temps annuel (årskalender).

L’emploi du temps ne change pas chaque semaine – il existe bel et bien un emploi du temps de base – mais il est modulé en fonction des projets – (projektarbejde), un mot très important. Je peux enseigner moins certaines semaines et bien plus d’autres, le volume horaire global de la matière que j’enseigne, fixé au début de l’année, étant conforme aux attentes nationales. La flexibilité devient ainsi une valeur essentielle du travail en commun.

Et je ne décide jamais seul. Je fais partie de deux équipes, de sept personnes chacune, des « teams ». Je peux proposer des aménagements. Ils seront, je le sais, étudiés avec bienveillance, mais je dois d’abord en référer à mes collègues, qui attendent cela de moi et qui en font de même dans l’autre sens. Il n’y a pas de salle de classe à proprement parler, et tout le bâtiment, résolument moderne, est bâti en espace ouvert.

Ma collègue et moi réunissons les élèves dans un hexagone, le temps d’indiquer les orientations du cours, puis nous nous répartissons pour les exercices, souvent en atelier, parfois quatre pour une classe, dont l’effectif va d’une quinzaine à une vingtaine d’élèves. Les élèves sont répartis selon leur niveau, leurs centres d’intérêt, leur façon d’apprendre. Le contact avec les collègues est permanent, à chaque  étape.

À ma connaissance, je suis le seul étranger dans le personnel de l’école, qui compte environ cent personnes, mais je suis les mêmes règles que mes collègues danois. À leur différence toutefois, je n’enseigne qu’une seule matière. Je donne une quinzaine d’heures de cours par semaine, mais cela aussi évolue. Par exemple, certains élèves de 9ème voudraient davantage que quatre heures de français par semaine : j’aurais mauvaise grâce à refuser.

Les journées débutent à 8 h. Le contenu de l’heure initiale est flexible, puis les cours se répartissent en trois modules d’une heure et demie, pour finir vers 14 h 30. Mais les élèves peuvent rester étudier l’après-midi, et les enseignants superviser leur travail. Présent du lundi au vendredi,  je me fais peu à peu à ce que je connais moins, comme l’emploi fréquent de l’Intranet ou la numérotation de l’année en semaines.

Votre situation vous permet de comparer chaque jour les deux systèmes. Comment vivez-vous de telles différences ?

Un tel poste a un côté paradoxal : j’enseigne mais suis moi-même à l’école d’un système scolaire, différent, autre. Ces différences se vivent, en effet, et j’ai l’embarras du choix. L’emploi des nouvelles technologies, les recherches sur Internet sont monnaie courante. Le téléphone portable est toléré et permet même de faire de petits films de poche. Le rapport aux élèves, qui me tutoient et que je tutoie, comme chacun au Danemark, est ouvert, sans la pesanteur de la hiérarchie.

Le tutoiement n’est pas ressenti comme une marque de défi, mais vécu comme une proximité. Des rapports de confiance s’instruisent assez vite. La relation aux collègues, souvent assez jeunes, est elle aussi franche. De même pour les parents d’élèves, qui ont bien plus leur mot à dire qu’en France et participent davantage à la vie de l’établissement. Le suivi entre l’école et le domicile, deux endroits où l’on retire ses chaussures, est d’ailleurs prioritaire à Hellerup.

En outre, je suis frappé par le nombre des réunions. Les cours peuvent se finir en début d’après-midi, mais la journée de l’enseignant se poursuit. Je vois beaucoup plus mes collègues qu’en France, l’interdisciplinarité est très répandue. J’ai l’impression d’avoir été intégré à une unité extrêmement solidaire. L’administration est aussi efficace que discrète. Je trouve le pragmatisme nordique très intéressant en termes d’éducation. Ceci rend la pratique de l’enseignement agréable et, je reprends à nouveau votre verbe, vivante.

Vous enseignez en danois ou intégralement en français ?

Le problème de la langue est captivant, qui conditionne le rapport aux élèves. Ceux auxquels j’enseigne sont des débutants. Les plus chevronnés des apprentis francophones auxquels je m’adresse connaissent la langue depuis seulement trois ans.

L’anglais, que les jeunes Danois parlent bien, intervient alors comme langue d’appoint, davantage même que je ne l’aimerais. Un bon niveau en anglais fait d’ailleurs partie du profil de mon poste. Se passer de cette langue est évidemment souhaitable, mais aussi difficile. Mais j’enseigne le plus souvent possible en français, en insistant, les élèves le savent, sur la prononciation et les idiomatismes. On peut me poser des questions en danois.

Je pense qu’à la fin de l’année, le cours entier sera donné en français, au moins pour le niveau supérieur. Dans les évaluations, en revanche, le recours au danois ou à l’anglais n’est pas souhaitable. Il n’y a plus qu’une langue, le français, et je note, en plein accord avec mes deux collègues dans cette matière, la capacité de l’élève à s’exprimer.

En outre, une autre langue me tient à cœur : l’idiome social, la manière dont les Danois se comportent les uns avec les autres, ce qui est si important dans leur système scolaire et me permet de mieux comprendre les élèves auxquels je m’adresse.

Quelles caractéristiques du système danois seraient-elles selon vous transposables en France ? Et serait-ce souhaitable ?

Une part de mon travail est de relayer les actions de formation et de coopération de l’Ambassade et de l’Institut français auprès de l’équipe pédagogique et des élèves d’Hellerup. Il n’en reste pas moins qu’une grande partie de mes activités consiste à observer les pratiques pédagogiques de mes collègues danois, pour lesquels l’apprentissage par cœur a disparu depuis longtemps, alors que les aptitudes (færdigheder) l’emportent sur le savoir (viden).

J’ai tenu à cette phase active d’observation avant le début de mes cours. Les conditions de possibilité d’une transposition semblent en effet être au cœur de ma mission, comme elles étaient au centre de la table ronde avec le ministre français. Différences d’échelle, de coûts, de tradition, de mentalités : pour d’évidentes raisons, beaucoup de choses ne peuvent être transposées.

La question de l’aménagement du temps scolaire me semble avoir une importance particulière. Je l’étudierai dans le rapport que je remettrai à ma hiérarchie. La grosse partie de la journée d’apprentissage a bien lieu le matin. Quant à savoir si une transposition est souhaitable -je ne parle que pour moi – oui.

L’enseignement français gagnerait à – c’est l’un des très beaux mots de notre langue – nordir. Notamment en ce qui concerne l’accent généreusement posé sur l’élève, au centre de tout, et duquel on essaie de faire, dès l’école, avec des moyens originaux qui me semblent valoir d’être connus, un acteur engagé de la société.

Et dans l’autre sens ? Le système danois manque-t-il de caractéristiques « françaises » ?

Je ne sais pas. Je mets des notes (elles courent, ici, de – 3 à 12) à des élèves, pas à des systèmes. En outre, je me vois mal critiquer le dispositif à l’intérieur duquel j’opère. Pas davantage, d’ailleurs, je n’aurais l’idée de dire du mal de l’éducation française à l’étranger. Je suis tenu à un élémentaire devoir de réserve qu’il me plaît d’observer. Je ne me définis pas, cette année, par rapport à la France, mais par rapport au Danemark.

Je peux néanmoins recourir à quelques conditionnels pour exprimer des regrets minimes, qui n’engagent qu’une part infime de moi, trop personnelle pour acquérir sens et valeur. Peut-être un côté gratuit, voire abstrait, de la culture, me manquerait-il, alors que les choses sont ici systématiquement ramenées à leur aspect pratique.

J’aimerais également que le cours puisse se déployer davantage dans le temps, alors que les élèves, auxquels on a enseigné très jeunes à se montrer critiques envers l’enseignement reçu, posent vraiment beaucoup de questions, d’ailleurs pleines de bon sens. Le dialogue est même une valeur centrale ici et le cours magistral bien loin.

Une chose est claire : les caractéristiques françaises en matière d’enseignement, si elles ne sont pas caricaturées, sont largement ignorées. Comme l’étaient le Danemark et le Nord en matière pédagogique il y a encore quelques années…

Reviendrez-vous en France « intact » ou avec des ides changées ?

Il est trop tôt pour répondre, je manque de recul. Mes idées ont déjà changé, mais ce changement lui-même changera peut-être. Je reviendrai touché par ce que j’ai vu, appris, compris ou cru comprendre. Je ne rentrerai pas « intact », tant mieux, mais appauvri en idées toutes faites et, je l’espère, enrichi de cette expérience, singulière dans le déroulement d’une carrière professionnelle. Je mesure pleinement la chance que j’ai.

Pour autant, ces onze mois danois ne remettront pas en cause mon cap, mais le préciseront. Changement dense, profond, significatif, oui, transformation radicale non. Mes amis me reconnaîtront. Ce qui m’intéresse est de confronter les points de vue, de prélever la meilleure part de l’un et de l’autre système, d’en tisser la synthèse afin d’améliorer une pratique enseignante, la mienne, dont je connais trop, hélas, et de l’intérieur, les limites.

De fait, le changement pour le changement est creux. Cette année à l’étranger aura du sens dans la mesure où elle pourra m’aider à planter là l’enseignant médiocre et routinier, médiocre parce que routinier, qui est aussi en moi et que je n’aime pas. Le but est de réinvestir ce que j’aurai acquis dans ma pratique. Au retour. En France. Pour des élèves français. D’ici là, je jouerai le jeu avec d’autres élèves. À la danoise. « Danoisement », si vous voulez.

Propos recueillis par L.C.